mercredi 12 décembre 2018

Justice : la grève perdure, Belloubet persiste

Les robes noires organisent une nouvelle «journée morte» ce mercredi pour protester contre le projet de loi de la garde des Sceaux, actuellement examiné par les députés. 

Justice : la grève perdure, Belloubet persiste

Au cœur de la lutte, le barreau de Rouen, à l’arrêt depuis le 4 décembre, rejoint par des confrères d’Ile-de-France, de Toulon et de Nice.



Les journées baptisées «justice morte» s’enchaînent depuis le mois d’avril, lorsque la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, avait dévoilé son vaste projet de réforme.

Cortèges «funéraires», bûchers de codes juridiques, grève des audiences : les avocats n’ont eu de cesse de manifester – avec force allégorie – leur hostilité à un texte qu’ils perçoivent comme une petite mort de la justice.

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Sans parvenir à faire fléchir la ministre.

Le 4 décembre, le barreau de Rouen s’est spontanément mis en grève. A l’issue d’une assemblée générale, les avocats, échaudés par les débats chaotiques à l’Assemblée nationale, ont refusé d’assurer les audiences et décidé de filtrer l’accès au palais de justice.

Un procès d’assises a ainsi été reporté après un long bras de fer avec la présidente de la cour et, chaque matin, les robes noires ont protesté devant les grilles.

«Au pas de charge»

«Nous faisions une résistance symbolique, raconte le bâtonnier, Me Eric di Costanzo. La police nationale est arrivée vendredi, ils ont bousculé des confrères dans la cour du palais, l’un s’est retrouvé à terre. Un autre a eu la boutonnière de sa robe déchirée. Cela a créé un émoi très important dans la profession, j’ai reçu énormément de messages de soutien des autres barreaux.»

Devenus les piliers de la colère, ils ont été rejoints sur place par des confrères parisiens tandis que les barreaux d’Ile-de-France, Toulon et Nice décidaient eux aussi, lundi, de boycotter des audiences.

«Lorsque le juge, garant des libertés et des droits fondamentaux, sera entièrement remplacé par un avocat, un notaire, un médiateur, un conciliateur, un directeur de CAF, un algorithme, que sera l’avenir de notre institution judiciaire, l’un des trois piliers de notre République ?» dénonce Me Mélanie Binoche, membre du conseil de l’ordre du barreau du Val-d’Oise, dans un communiqué.

Ce mercredi, alors que le texte est toujours examiné au Parlement, c’est toute la maison justice, partout en France, qui sera en grève à l’appel unitaire du Syndicat de la magistrature (SM), du Conseil national des barreaux et du Syndicat des avocats de France.

«En l’état, ce texte mené au pas de charge et sans aucune concertation véritable ne vise pas à améliorer la qualité du service rendu aux justiciables et les conditions de travail des personnels, mais bien à faire des économies sur leur dos», écrit le SM.

Cette réforme ne serait qu’une stratégie pour dissimuler «des logiques tayloristes de rationalisation d’une justice perçue comme une simple chaîne de production», critique le syndicat (classé à gauche).

Pour résumer, si la garde des Sceaux considère porter «une réforme globale et concrète», les professionnels du droit, eux, déplorent «un décès programmé de la justice». Même le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a indiqué que le projet va «porter atteinte à l’accès au droit des justiciables, notamment des plus fragiles».

«Fourre-tout»

«Votre capacité à vous mettre à dos toutes les professions et tous les territoires est déconcertante – cela frise l’excellence», cinglait, à l’endroit de Nicole Belloubet, le député PS David Habib, le 4 décembre.

Il n’a pas tort, tant il semble inédit de provoquer une colère aussi vive et constante, unissant avocats, magistrats, greffiers et universitaires. Sur le fond, tous pensent que le texte – véritable «fourre-tout» touchant à la fois à la justice pénale, à la procédure civile, à la carte judiciaire, à l’échelle des peines, à la numérisation… – est dangereux. Sur la forme, tous dénoncent l’absence de concertation.

Dans un premier temps, Nicole Belloubet a voulu rassurer, notamment sur le point le plus décrié de sa réforme : la fusion des tribunaux de grande instance (TGI) et des tribunaux d’instance (TI). Elle a donc entrepris un grand tour des juridictions françaises au printemps pour soutenir qu’il n’y «aurait aucune fermeture de tribunal» et justifier le bien-fondé de son projet de loi.

Mais les robes noires ont continué à battre le pavé. Alors la ministre a tenté le dialogue avec les différents représentants syndicaux reçus place Vendôme, consentant même à quelques petits compromis.

C’est ainsi qu’elle a accepté de renoncer à faire des notaires et des huissiers les maîtres d’œuvre des procédures de saisies immobilières en écartant le juge.

En outre, elle a cédé sur la possibilité de recourir à la visioconférence pour le placement initial en détention provisoire.

Satisfaite, l’Union syndicale des magistrats (majoritaire) s’est retirée du mouvement. Mais la bronca des avocats s’est poursuivie. La ministre évoque aujourd’hui des «craintes» ou des «caricatures». «J’écoute des choses qui sont fondées sur le réel, un peu moins sur le fantasme», disait-elle à Dalloz Actualité le 15 novembre.

Professeure de droit public et ancienne membre du Conseil constitutionnel, Nicole Belloubet ne s’était jusqu’à présent que peu frottée aux enjeux du monde judiciaire ou pénitentiaire.

«Elle ne connaît pas la justice ni les prisons, mais elle a une telle capacité de travail qu’elle y arrivera», prédisait, lors de sa nomination, Pascale Gonod, l’une de ses amies, au Monde.

Aucun des deux ne l’aura épargnée. Après avoir affronté le soulèvement des surveillants pénitentiaires en janvier, elle doit maintenant composer avec la fronde des avocats.

Se tenant à distance de tout propos politique – «je n’ai pas répondu à des considérations idéologiques», soulignait-elle le 6 novembre devant la commission des lois –, elle se borne à un discours sobre et gestionnaire qui participe certainement à la fracture avec les professionnels.

Dans toutes ses interventions, on retrouve un champ lexical technique : ainsi, elle répète comme une sorte de mantra qu’elle veut «simplifier», «moderniser», «rationaliser».

En face, on lui répond «droits individuels», «droit de la défense» et accès à la justice, la taxant de vouloir «déshumaniser» l’institution. «Le gouvernement ne nous écoute pas, il veut faire passer le projet au chausse-pied à cause du calendrier», s’agace Katia Dubreuil, la présidente du SM.

«Surprise du chef»

A la chancellerie, on assure : «La ministre n’a jamais rompu les relations avec les avocats, elle a eu des rendez-vous réguliers avec eux depuis le printemps. Dernièrement, elle a été invitée à la rentrée du barreau de Paris et elle s’est aussi arrêtée pour discuter avec les avocats lorsqu’elle est allée visiter la prison du Havre.»

On ne peut pas dire que le dialogue ait été particulièrement fructueux à en croire son interlocuteur… le bâtonnier de Rouen. «Il n’en est rien ressorti, Nicole Belloubet considère que son projet est très bien. Et lorsqu’on lui explique que l’on n’est pas d’accord, elle réplique qu’elle ne comprend pas notre mobilisation, qu’il y a eu des avancées et de la concertation.»

Même exaspération au Syndicat de la magistrature : «On l’a vue à de nombreuses reprises mais à chaque fois c’est pareil, elle nous dit qu’elle va nous expliquer, que l’on ne comprend rien. Et rien ne change», soupire Katia Dubreuil, qui mise désormais sur les parlementaires.

Dernièrement, la colère est encore montée d’un cran après que la ministre a annoncé au beau milieu des débats à l’Assemblée sa volonté de réformer la justice des mineurs.

L’initiative, qui a pris tout le monde de court – «la surprise du chef», comme dit un député – résonne comme un nouveau passage en force car le gouvernement souhaite procéder par ordonnances.

Celle qui est déjà conspuée pour son manque de concertation envoie ici un fâcheux signal qu’elle a tenté de rattraper : «Je propose une méthode originale qui nous permettra d’avancer en travaillant avec les élus de la représentation nationale» en créant une délégation composée de députés et de sénateurs «pendant la phase d’élaboration de l’ordonnance».

Les avocats en grève, eux, espèrent encore pouvoir empêcher le vote du texte...

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Voici qui devrait convenir aux dirigeants 
des syndicats pénitentiaires :
(Cliquez sur l'image)


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