mardi 3 septembre 2013

Réforme pénale - Christiane Taubira n'a pas fait sa révolution

L'opposition affirme que la ministre de la Justice a remporté son duel face au ministre de l'Intérieur. Les textes disent le contraire.
 
Christiane Taubira a dévoilé les contours de sa réforme pénale.
Christiane Taubira a dévoilé les contours de sa réforme pénale
 
Ainsi donc, selon la droite, le laxisme l'aurait emporté. Christiane Taubira serait sortie grande gagnante du bras de fer sur la réforme pénale qui l'a opposée tout l'été au ministre de l'Intérieur Manuel Valls. Sur les mesures polémiques sujettes à l'arbitrage et qui avaient été révélées par Le Point.fr, presque toutes ont pourtant été retoquées par Jean-Marc Ayrault. D'après le député UMP Éric Ciotti, "il y a un vainqueur, Taubira, et deux perdants, les victimes de la délinquance et Manuel Valls".
Il n'en est rien : la gauche n'a pas fait la révolution pénale qu'elle avait promise et la réforme de la garde des Sceaux, qui prévoyait de faire peser sur la société le poids de la réinsertion des condamnés, a été très affadie. Vendredi dernier, lorsque le texte a été présenté, c'est le message de fermeté martelé par le Premier ministre qui a prévalu. De nombreuses fois, Christiane Taubira, avec ses talents d'oratrice, a fait appel à la conscience de chacun : "La société doit pouvoir aider à la réhabilitation de celui qui a fauté, quelle que soit la gravité de sa faute." Le paradoxe est là. La réforme pénale est frileuse, mais elle reste, pour l'électorat de François Hollande, auréolée du discours de la ministre de la Justice.

Un pas à gauche, un pas à droite

Le gouvernement a mis un pied à gauche : il a décidé la création de la contrainte pénale, proche de l'actuel sursis avec mise à l'épreuve, et la suppression symbolique des peines plancher. Mais il s'est empressé de faire un pas à droite en revenant sur la loi pénitentiaire de 2009 et en décidant une nouvelle réduction des aménagements de peine pour les récidivistes. Jean-Marc Ayrault peut se targuer d'avoir trouvé une réforme équilibrée. Et ce n'est pas pour déplaire à l'Union syndicale des magistrats (USM), qui, après l'avoir beaucoup critiqué, juge finalement le texte "pragmatique et réaliste", sous réserve que les moyens financiers promis soient alloués.
 
L'Observatoire international des prisons (OIP) pour sa part estime que le "gouvernement se laisse intimider par l'idéologie populiste". Et ne voit dans la réforme pénale qu'un "non-choix entre le tout-carcéral et le pari de la probation". À l'université d'été du PS de La Rochelle, Christiane Taubira avait cité Roosevelt : "La seule chose dont nous devons avoir peur est la peur elle-même." Ce sont les certitudes de Christiane Taubira qui semblent avoir fait peur au gouvernement. Jugez vous-mêmes.
Les principales mesures qui ont été abandonnées
- La sortie aux deux tiers de la peine pour les personnes condamnées à des peines de moins de 5 ans. Manuel Valls de même que l'Union syndicale des magistrats (USM) s'y étaient opposés. Ils dénonçaient les "automatismes" qui empêchent le juge d'individualiser les peines selon la situation de chacun.
- Des réductions de peine pour les récidivistes. Notre Code pénal prévoit des réductions de peine "pour les condamnés qui manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale". Pour les primodélinquants, elles sont de 2 mois par année de prison ou 4 jours par mois lorsque la peine qui reste à subir est inférieure à 1 an. Dans son rapport sur la surpopulation carcérale, le député PS Dominique Raimbourg notait : "Les tribunaux sont logiquement plus sévères à l'égard des récidivistes (et des réitérants) qu'envers les primo-délinquants. La sanction ayant ainsi déjà été aggravée, il n'y a pas lieu de durcir les conditions de son exécution."
- La suppression de la rétention de sûreté ("la peine après la peine"). "Dans un premier temps, il était prévu d'y mettre [dans la réforme pénale, NDLR] la rétention de sûreté", a expliqué la ministre de la Justice à l'université d'été de La Rochelle. Mais "dans la mesure où la réforme pénale a été recentrée sur les délits exclusivement", l'abrogation de la rétention de sûreté n'a pas été retenue, a-t-elle ajouté.
- Suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs. Toujours dans l'optique de maintenir la "spécialisation" de la réforme pénale sur les délits, cette mesure voulue par Christiane Taubira est reportée à un autre chantier pénal. À La Rochelle, la garde des Sceaux a renvoyé au débat parlementaire qui pourrait éventuellement introduire la mesure. Sans trop y croire.
- Des réductions de peine à la suite d'un "acte exceptionnel de courage ou de dévouement" au cours de la détention. Pour ces cas marginaux, il y a toujours "l'hypothèse de la grâce présidentielle", explique-t-on à la chancellerie. En 2008, Nicolas Sarkozy avait refusé la traditionnelle grâce collective du 14 Juillet, mais avait décidé pour Noël d'accorder des réductions de peine à plusieurs détenus "au comportement exemplaire".
- L'allègement des conditions de prononcé du sursis simple. Actuellement, le sursis simple (pas de peine de prison ferme) ne peut être ordonné par le juge que si le prévenu "n'a pas été condamné, au cours des cinq années précédant les faits [...], à une peine de réclusion ou d'emprisonnement". Dans son avant-projet de loi, la chancellerie proposait d'ajouter une condition supplémentaire : la peine d'emprisonnement doit être "supérieure à quatre mois". Christiane Taubira voulait éviter d'envoyer en prison des gens qui n'ont commis que des faits de faible gravité. Mais Manuel Valls s'était déclaré pour une "exécution ferme des peines de prison, même les plus courtes".
- La suppression du mandat de dépôt obligatoire pour les récidivistes. Mentionnée dans l'avant-projet de loi, la chancellerie a une nouvelle fois renoncé à cette mesure dans son projet de loi daté du 30 août 2013.
 
Les principales mesures retenues

- Création de la contrainte pénale. Il s'agit d'une peine restrictive de liberté en milieu ouvert (hors prison), proche de l'actuel sursis avec mise à l'épreuve (SME).
- Suppression des peines plancher. Pour des crimes ou des délits commis en état de récidive légale, le juge ne peut infliger une peine inférieure à certains seuils fixés par la loi. Par exemple, si un récidiviste encourt la prison à perpétuité, le juge ne peut prononcer une peine inférieure à 15 ans. La suppression de ces mesures était une promesse de campagne du candidat Hollande.
- La peine d'emprisonnement en dernier recours. Annoncée par Le Point.fr, la mesure a résisté aux arbitrages. Lorsque le juge n'inflige pas une peine de prison avec sursis et qu'il choisit donc l'emprisonnement ferme, le Code pénal l'oblige à motiver sa décision. Cependant, lorsque la personne est récidiviste, il n'est pas obligé de le faire. Christiane Taubira veut faire disparaître cette possibilité dans l'article 3 du projet de loi révélé par France Inter et daté du 30 août.
 
- Examen systématique de la situation des condamnés aux deux tiers de leur peine. Seul l'examen est automatique, et pas la libération. "C'est donner un rendez-vous à la personne condamnée qui peut se mobiliser sur cette échéance", explique-t-on à la chancellerie. Le but est d'éviter les "sorties sèches", non encadrées, qui sont "pourvoyeuses de récidive", et donc dangereuses pour la société. Cela permet également de laisser le temps aux détenus de monter, avec les SPIP (services pénitentiaires d'insertion et de probation), un projet de réinsertion. À l'issue de cet examen, la personne condamnée pourra bénéficier d'une mesure de "libération sous contrainte".
 
- Ajournement de la peine. Le tribunal peut prononcer la culpabilité, fixer les éventuels dommages et intérêts à allouer à la victime et reporter à plus tard le prononcé de la peine. Il disposera d'un délai de quatre mois pour que les SPIP aient le temps de mener des investigations sur la personnalité du condamné.
 
- Suppression de la révocation automatique du sursis simple. C'est désormais au juge d'ordonner la révocation du sursis.

Le Point

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