mardi 16 septembre 2014

Entre les murs de la Santé

La dernière prison parisienne ouvre ses portes au public pour les Journées européennes du patrimoine. Découvrez en avant-première un lieu chargé d’Histoire, vidée de ses détenus en juillet dernier avant d’importants travaux. Reportage et photos.

crédits : Mairie de Paris/Henri Garat
 
Ses hauts murs ne laissent rien entrevoir. Au 42, rue de la Santé (14e), près d’un grand portail peint en bleu, une petite porte s’ouvre après un première vérification d’identité. Premier sas, puis second contrôle. Les lieux sont ultra confidentiels pour le grand public : la maison d’arrêt (une prison où sont détenus des prévenus en attente de jugement, des condamnés en attente d’affectation dans un établissement ou dont la peine est inférieure à 1 an) de la Santé n’ouvrira ses portes que les 20 et 21 septembre prochains à l’occasion des Journées europénnes du patrimoine . L’attente était grande : les inscriptions pour ces visites ont été closes deux heures seulement après la mise en ligne du site web de la manifestation.
 
Ouverture unique avant travaux

Une ouverture exceptionnelle, car la dernière prison parisienne, inaugurée en 1867,  a été vidée de ses détenus en juillet dernier. Ils ont tous été transférés vers d’autres centres pénitentiaires le temps d’une rénovation de fond de l’illustre prison, qui doit s’achever en 2019. La Santé et ses 2.8 hectares seraient-ils vides ? Pas vraiment. Outre le personnel de l’administration pénitentiaire, « un centre de semi-liberté de 100 places reste ouvert, explique Jean-Marie Akera, adjoint du chef d’établissement. Il s’agit de personnes qui ont l’autorisation de sortir tous les matins, sur décision du juge d’application des peines, et qui rentrent dormir à la Santé en fin de journée ». Le parcours évite, bien sûr, soigneusement l’aile encore occupée. « Les personnes détenues n’ont souvent pas envie d’être vues, et on voulait éviter tout voyeurisme », précise Jean-Marie Akera.

Un patrimoine ni classé ni inscrit...

« C’est un lieu très particulier, un patrimoine qui n’est ni inscrit ni classé aux Monuments historiques, explique Jean-Pascal Lanuit, directeur-adjoint de la Direction des affaires culturelles d’Ile-de-France. Nous souhaitons montrer au public l’un des visages de Paris et garder la mémoire d’un ensemble architectural ». A travers l’Histoire, la capitale a compté une quinzaine de prisons (la Bastille, Mazas, la Grande Roquette…) La Santé en est le dernier témoignage vivant. Découverte d'une forteresse urbaine en forme de trapèze.
Le plan de la Santé ©Administration pénitentiaire











La mémoire de la guillotine

Dans la cour d’honneur, entourée
 de murs épais en meulière et pierre de taille, premier arrêt. Une page d’Histoire très sombre pour la Santé s'y est écrite. C’est là, derrière la porte principale, que se dressait la guillotine, à l’abri des regards, à partir de 1939. Les deux dernières exécutions –celles de Lucien Bontemps et de Claude Buffet - se déroulent en 1972. De 1909 à 1939, les condamnés à mort étaient exécutés en public à l’angle du boulevard Arago et de la rue de la Santé. Pendant la seconde guerre mondiale, une partie de la prison –le quartier bas - passe sous le contrôle des Allemands, l’autre –le quartier haut- restant dirigé par les autorités françaises de Vichy. De nombreux résistants, hommes et femmes confondus, telle Germaine Tillon, y sont incarcérés, et 18 résistants et personnalités communistes y seront assassinés de 1941 à 1944.

Greffe et écrou

Depuis la cour d’honneur, nous franchissons quelques marches. Voici l’entrée du greffe judiciaire, là où tout bascule. « C’est ici que se déroule le passage de la liberté à l’incarcération », précise Jean-Marie Akera. Après les « formalités d’écrou » (l’écrou est un acte constatant officiellement l'entrée d'un détenu dans un établissement pénitentiaire), c’est la plongée dans la maison d’arrêt. Le silence a fait place aux bruits quotidiens désormais quasi disparus : éclats de voix, cliquetis de portes, pas qui résonnent… La Santé semble comme endormie. « C’est la fin d’une époque, je suis un peu triste que la maison d’arrêt ferme », glisse un surveillant en uniforme. Nous traversons le chemin de ronde, où figure un étrange panneau, qui précise : « Zone de silence et d’écoute ».
La rotonde de la Santé


La rotonde, le centre névralgique

Un petit couloir conduit à l’un des points névralgiques de l’immense structure : la rotonde. Au centre de cette salle en étoile, un poste vitré se dresse, légèrement surplombé. C’est ici que toutes les ailes de la Santé convergent, là où sont contrôlés les accès aux différentes divisions de la prison.
Au-dessus du quartier bas, un second niveau, le quartier haut, relié au poste par une passerelle. Cette dernière est le témoignage d’une époque révolue, celle… de la messe obligatoire. « Jusqu’à la fin du 19e siècle, un prêtre se tenait à l’étage pour les offices, détaille l’historienne Caroline Soppelsa. La messe était fortement conseillée aux prévenus, et imposée aux condamnés. On considérait que cela fait partie du traitement moral du prisonnier pour le détourner du péché ». Une pratique de moins en moins acceptée au fil de la montée en puissance de l’anticléricalisme dans la société française.

Quartiers d’hébergement et « huit central »

Direction « la 2e division du quartier bas » : la vie semble s’être arrêtée dans ce quartier d’hébergement. Deux longues galeries, réparties sur deux étages, accueillaient jusqu’à l’été des détenus. Bienvenue dans le « huit central », l’un des particularismes architecturaux de la Santé depuis 1867. Le léger décalage entre les galeries permet aux agents de surveillance qui y circulent d’être vus à tout moment par leurs collègues. Dans les cellules de 7 m2, le confort est sommaire, avec des lits en fer superposés et des équipements sanitaires vétustes.
 
Chauffage central et toilettes

Pourtant, lors de son inauguration, la prison était « considérée comme trop confortable par certains journalistes, rappelle Caroline Soppelsa, car elle bénéficiait de nouveautés, comme le chauffage central et les toilettes qui étaient inconnus de nombreux Parisiens de l’époque ».

Les lieux de vie se succèdent le long du grand couloir. Une petite bibliothèque et une salle de sports ont été aménagées dans des anciennes cellules. La maison d’arrêt accueille également un centre scolaire et des ateliers professionnels, créés dans les années 70, afin d’apporter des activités éducatives aux prisonniers pour préparer leur réinsertion.

Sur chaque porte, un œilleton permet une surveillance permanente. Une nécessité pour s’assurer également de la sécurité des personnes emprisonnées. «La nuit, on effectue quatre passages, détaille un agent, pour vérifier que tout se passe bien».

Plongée en photos dans la Santé... 

 14 cellules au quartier « VIP »

Il a fait la réputation de la Santé : le quartier des particuliers dit « quartier VIP » a vu passer de nombreuses personnalités françaises et internationales. En apparence, on est très loin d’un confort particulier. « C’est un quartier ordinaire de détention, explique Jean-Marie Akera, avec des personnes qui ont un statut particulier du fait de leur profession ou du fait de la médiatisation de leur affaire ». 14 cellules individuelles y ont été aménagées.

Plusieurs ont été décorées par leurs éphémères occupants. Dans l’une d’elles, des photos de paysages portugais ou marocains ont été accrochées sur les murs. Non loin, quelques revues de bande-dessinée côtoient les pièces d’un jeu d’échecs. Dans une autre cellule, le témoignage d’un amateur de bolides : la porte est tapissée, de l’intérieur, de représentations de voitures de sport. Plus étonnant, une boite de biscottes y a même été collée en guise de boites aux lettres symbolique… Pour les 14 « pensionnaires », une salle de sports est également accessible. Les « VIP » bénéficient aussi d’une cour de promenade à part.

Dans la solitude du quartier d’isolement

« QHS » : quartier de haute sécurité. L’appellation a disparu en 1982, mais les lieux demeurent. Au quartier d’isolement (ou quartier disciplinaire) les cellules ne sont plus les mêmes : meubles scellés au sol, sanitaires en métal fixés au mur, absence de télévision...

Le secteur est réservé « à ceux qui ont enfreint une règle de l’établissement et qui sont passés devant un jury interne », explique Jean-Marie Akera. Ces détenus, souvent considérés comme dangereux par la direction de la prison, effectuent leur promenade seuls. Un isolement parfois très mal vécu : ces prisonniers sont souvent suivis de près notamment « pour évaluer leurs intentions suicidaires », confie le directeur adjoint de la Santé. « Dans ce quartier, notre approche de la personne détenue doit s’adapter à cette situation d’isolement ».

Salles de parloirs, cours de promenades, sas de sécurité... Après plus de deux heures à l'intérieur de la Santé, on perd, peu à peu, la notion du temps et de l'espace. Jusqu'à une sortie, rue Messier. Là où les familles entrent pour rendre visite à leurs proches.

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