mercredi 10 septembre 2014

L'usine à gaz de la contrainte pénale

Les professionnels redoutent déjà la mise en œuvre particulièrement lourde de cette mesure phare de la réforme Taubira.
 
Un conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation reçoit un condamné pour un entretien, à Marseille.
Un conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation reçoit un condamné pour un entretien, à Marseille
 
Après l'euphorie, l'inquiétude. À trois semaines de l'entrée en vigueur, le 1er octobre, de la réforme pénale, les services d'insertion et de probation sont sur le pied de guerre. Guest-star de la loi, la contrainte pénale, cette condamnation sans prison qui a suscité tant de réticences dans l'opinion publique, a déjà fait l'objet de deux lettres de cadrage de la part de l'Administration pénitentiaire et d'une réunion il y a une semaine avec les organisations professionnelles.
Et le moins que l'on puisse dire, c'est que ces dernières, à commencer par le Snepap-FSU, syndicat majoritaire chez les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation, n'en sont pas sorties très rassurées. Ce dernier a dénoncé hier les risques d'engorgement des services qui seront chargés de mettre en musique ce dispositif aux contours complexes.
Inscrit dans la loi, «le suivi intensif» risque notamment de prendre des allures d'usine à gaz. «La phase d'évaluation des délinquants est hypertrophiée», s'inquiète Olivier Caquineau, secrétaire général du Snepap-FSU. Dans cette première phase, qui doit permettre de déterminer le contenu des interdictions et obligations auxquelles seront soumis ces condamnés - obligation de suivre des soins ou d'effectuer un travail d'intérêt général, interdiction de fréquenter certains lieux, etc. -, ces derniers devront se plier à une série de rendez-vous individuels et collectifs dans un délai de trois mois.
«La phase d'évaluation des délinquants est hypertrophiée»
Olivier Caquineau,secrétaire général du Snepap-FSU
Ainsi, les condamnés seront-ils d'abord reçus en groupe, pour une sorte de réunion pédagogique et méthodologique visant à expliquer la nature et le contenu de cette mesure pénale. Cette «réunion d'accueil», qui doit se tenir dans les huit jours suivant la condamnation, est suivie de pas moins de quatre réunions individuelles qui permettront de concocter une peine individualisée en fonction de la personnalité, et du contexte social de chacun.
«On ne sait pas pourquoi l'Administration pénitentiaire s'est concentrée sur quatre entretiens, cela aurait pu être trois ou cinq», souligne Olivier Caquineau. Dans l'intervalle, il faudra aussi que les conseillers d'insertion et de probation organisent des «cessions collectives d'observation» d'une à deux journées, durant lesquelles les «sujets» seront placés autour d'une table et soumis à des thématiques données avec des règles à respecter et des objectifs à réaliser, seuls ou en groupe. Le tout afin de tester leur capacité à respecter des obligations.
 
Dans le même temps, ces condamnés seront éligibles à des groupes de paroles permettant de «réfléchir» sur leur passage à l'acte, au sens de la peine. Il leur sera possible d'entamer un cycle de «justice restaurative» (qui tend à favoriser, lorsque les circonstances le permettent, des rencontres entre auteurs et victimes, NDLR). «On ne voit pas ce que cela vient faire au moment de l'évaluation. Tout le monde n'est pas susceptible d'y être soumis», note Olivier Caquineau. Les conseillers d'insertion et de probation redoutent surtout de ne pas y arriver en termes d'effectifs. D'autant que chaque condamné sera désormais suivi par deux conseillers au lieu d'un.

Enfin, avant même que la peine ne soit décidée, une commission pluridisciplinaire pourra se réunir pour analyser et corroborer l'évaluation et les mesures préconisées. Plus que tout, les personnels redoutent une exécution des peines à deux vitesses: «La contrainte pénale est la vitrine de cette loi et tout est mis en œuvre pour montrer à l'opinion publique que c'est un système rigoureux. Mais ce temps et cette mobilisation consacrés à cette mesure vont manquer au suivi des autres peines effectuées hors de la prison, comme de la surveillance des personnes sous bracelet électronique ou condamnées à des sursis avec mise à l'épreuve, qui concernent aujourd'hui des délits bien plus graves que ceux que vise la contrainte pénale», s'inquiète encore le responsable syndical.

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