mercredi 6 mars 2019

Alençon. Kévin, surveillant pénitentiaire de 28 ans : « Quand j’entends mon collègue dire « J’ai cru que j’allais mourir », ça me fait mal »

Surveillant pénitentiaire à la centrale d'Alençon-Condé, Kévin est traumatisé par l'attaque terroriste et affiche une colère froide ce matin au regard de ses conditions de travail.

Alençon. Kévin, surveillant pénitentiaire de 28 ans : « Quand j’entends mon collègue dire « J’ai cru que j’allais mourir », ça me fait mal »

Il a été l’un des deux surveillants à interpeller Nicole Belloubet, la ministre de la Justice venue rendre visite en fin d’après-midi, mardi 5 mars, aux deux surveillants pénitentiaires hospitalisés après leur agression au couteau par un détenu radicalisé, le matin, au centre pénitentiaire d’Alençon-Condé.

« On vous avertit depuis janvier 2018 sur nos conditions de travail et ce qui se passe dans les prisons ! », a lancé Kévin, 28 ans, à la garde des Sceaux.

« Le portique ne détecte que les métaux, ça ne sert à rien ! Les passe-menottes, on ne peut pas les utiliser : ils ne servent à rien ».

La ministre, manifestement prise au dépourvue, avance alors la création du récent Quartier de prévention de la radicalisation (QPR) au sein de la prison d’Alençon-Condé. « Mais le détenu radicalisé qui a commis l’acte ce [mardi] matin n’y était pas, dans ce QPR ». Il venait d’intégrer l’Unité de vie familiale (réservée à l’accueil des familles des détenus, pour un temps d’intimité familial) quand sa femme a simulé un malaise qui a généré l’arrivée des deux surveillants agressés.

« À l’intérieur, c’est la fête »

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« On a crié fort l’hiver dernier mais il ne se passe rien depuis. On nous donne juste des miettes… »

La ministre fait état d’une récente visite au centre pénitentiaire où elle a pu constater « l’arrivée d’équipements neufs ». « Mais on ne peut pas les utiliser ! », insiste Kévin. « Vous criez au scandale quand il se passe quelque chose mais au bout d’une semaine, on n’entend plus rien ! C’est pourtant bien le sang de mes collègues qui s’est répandu sur la coursive de l’UVF ce mardi… »

A l’argument de la « prison la plus sécuritaire de France » brandi par la ministre de la Justice, une jeune collègue de Kévin contre-balance :  « Il n’y a que les murs qui sont sécuritaires. A l’intérieur, c’est la fête ! Il y a des soucis au parloir qu’on dénonce depuis longtemps. Nous quand on rentre, on doit montrer patte blanche. Mais les visiteuses, sous leur djellaba, elles mettent ce qu’elles veulent et si ça ne sonne pas elles passent puisqu’on ne peut pas les fouiller. Ce problème a déjà été soulevé ! On retrouve la même chose avec des gilets amples. »

« Si nous avions le droit de palper les visiteurs, ce serait différent, mais il faut l’accord de la personne. »

Kévin confirme. « On voit souvent les visiteuses vêtues à l’européenne les deux premiers mois puis porter la djellaba ensuite. C’est le jeu ! Elles jouent et elles gagnent puisqu’on n’a pas le droit de les palper. »

« On travaille sous contrôle »

Ce mercredi matin, lors du blocage de la centrale, Kévin a les yeux cernés et le moral en berne. Il reprend la conversation d’hier : « Il n’y a vraiment que les murs qui sont sécuritaires ici. Pas le fonctionnement. On n’a pas de moyens, pas de taser pour faire face à des détenus qui, en plus de se voir servir des repas bio, disposent quand même de quoi faire la cuisine dans leur cellule et notamment des friteuses. Ils travaillent aussi dans les ateliers avec des cutters et des ciseaux… »

Pour Kévin, tout ce qui est à leur portée peut être transformé en arme par destination. « Et nous, on n’a qu’un sifflet et un talkie-walkie, pour faire face. Sans compter que parfois l’alarme dysfonctionne en terme de localisation d’une agression. Ils nous arrive de nous déplacer sur un endroit qui n’est pas le bon ! Heureusement qu’hier, elle a bien fonctionné ! »

« Quand votre collègue vous dit, en pleurs, qu’il a cru qu’il allait mourir, ça fait mal. »

Lui a choisi son métier pour « plein de choses mais notamment pour ses valeurs. Or une fois à l’intérieur, on s’aperçoit qu’il n’y a rien de tout cela : on n’a pas de soutien, il faut se justifier sur toutes nos interventions qui sont filmées et détaillées à la vidéo pour voir comment on a positionné notre bras, si on n’avait pas le sourire, etc. »

« C’est nous qui sommes surveillés, on travaille sous contrôle ».

Dans ce réveil douloureux post-attentat, sa rémunération devient aussi un sujet de revendication : « On gagne 1 460 € net par mois. On peut monter à plus avec les heures supplémentaires qui nous sont d’ailleurs imposées puisqu’elles sont dans le planning… Mais plus on fait d’heures supplémentaires, plus on est fatigué, moins on voit notre famille… »

La raison à cela ?

« Il y a un manque d’effectif ! On voit de plus en plus de nos collègues se présenter aux concours de la Gendarmerie et de la Police et quand ils sont reçus, ils quittent l’administration pénitentiaire pour gagner plus ! »

« Je n’ai pas envie de rentrer chez moi dans un cercueil »

Deux de ses collègues, Mathieu et Yann, opinent du chef :

« Quand on a entendu la ministre dire, à l’issue du mouvement social de janvier 2018, qu’on était surpayés, on a pris cela pour du mépris. On a un salaire qui frôle le Smic ! »

Mathieu est surveillant pénitentiaire depuis quatre ans dont deux et demi à Alençon. « L’attentat d’hier nous fait peur. Moi, je suis originaire de la Réunion. »

Je n’ai pas fait 11 000 km pour me faire planter et je n’ai pas envie de rentrer chez moi dans un cercueil ! »

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