jeudi 27 mars 2014

Interdit de lire dans les prisons anglaises

Plusieurs écrivains britanniques célèbres ont lancé une campagne contre le gouvernement britannique qui a interdit l’envoi de livres aux personnes incarcérées.
 
La prison de Doncaster en Angleterre

Une nouvelle réglementation, entrée en vigueur en novembre 2013, interdit, pour des prétextes de sécurité et de lutte contre la drogue, aux personnes incarcérées de recevoir des colis provenant de l’extérieur sauf dans des “circonstances exceptionnelles”, type  problèmes de santé. Il est désormais impossible d’envoyer des livres, des magazines ou des sous-vêtements aux détenus.

Frances Crook, directrice du Howard League for Penal Reform, a attiré l’attention sur cette mesure dans un article publié dimanche sur le site Politics. Le lendemain, une pétition mise en ligne sur Change.org invitait le secrétaire d’Etat à la justice conservateur Chris Grayling à abandonner cette mesure. Elle a rassemblé plus de 15 000 signatures, dont celle des écrivains Salman Rushdie, Julian Barnes, Ian McEwan, Philip Pullman, Mark Haddon, Susan Hill et Emma Donoghue…

Lord Ramsbotham, qui fut inspecteur des prisons de 1995 à 2001, a confié aux Inrockuptibles que “Chris Grayling s’est mis en tête de mener une politique sévère dès sa nomination. Il a constamment eu le mot punition à la bouche, oubliant la fonction fondamentale de la prison – qui est de réhabiliter les prisonniers.”  Pour Ramsbotham, cette mesure est politique, et inspirée par la façon dont les tabloïds ont dépeint la vie en prison (On trouvera notamment sur le site du Daily Mail plusieurs articles utilisant des clichés postés par des détenus sur les réseaux sociaux, et dénonçant le fait qu’ils posent devant une télévision ou une Playstation et présentant la vie en prison comme un séjour dans un camp de vacances.)

“Grayling n’a pas fait de mystère de son désir de se servir de son bilan dans le programme qui sera présenté par le Parti conservateur pour les élections de 2015”, ajoute Ramsbotham. Il veut pouvoir dire qu’il a mené une guerre contre la criminalité. Par cette mesure, il démontre sa méconnaissance fondamentale de ce qu’est la vie en prison.”

Cherchant à apaiser la controverse, Jeremy Wright, ministre des prisons, a déclaré hier : “L’idée que nous avons interdit les livres en prison est absurde. Tous les prisonniers peuvent avoir jusqu’à douze livres dans leur cellule à tout moment, et ils ont tous accès à la bibliothèque de la prison. Sous le nouveau système (…) si les prisonniers s’engagent sur la voie de la réhabilitation et se soumettent au régime en vigueur ils peuvent avoir accès à des fonds leur permettant d’acheter des biens et notamment des livres.”

Mais d’après une source travaillant dans une association spécialisée dans l’aide aux prisonniers, la réalité est bien différente. “L’interdiction de recevoir des livres s’applique à tous les prisonniers quelle que soit leur participation à un projet de réhabilitation. Quand ils ont la possibilité de travailler, les détenus touchent des sommes dérisoires, de l’ordre de 10 livres sterling (12 euros) par semaine. Les prisonniers handicapés qui ne peuvent pas travailler touchent une allocation hebdomadaire de 4 livres sterling – avec lequel ils doivent payer des produits de première nécessité. Il est peu vraisemblable qu’ils parviennent à s’acheter des livres avec cet argent. C’est la même chose pour les prisonniers âgés – les familles ne peuvent plus leur envoyer des objets qui leur permettrait de s’occuper dans leurs cellules, qu’il s’agisse de cartes ou de livres.”

Si les prisonniers sont autorisés à emprunter des livres à la bibliothèque de la prison, ce service est fourni par les municipalités, dont les budgets ont subi des coupes drastiques depuis l’arrivée d’un gouvernement de coalition entre conservateurs et libéraux-démocrates en 2010. D’après une étude, 453 bibliothèques ont fermé ou s’apprêtent à fermer de façon imminente depuis le mois d’avril 2013 à travers l’Angleterre ou le pays de Galles.Et selon un porte-parole du Howard League for Penal Reform, les bibliothèques des prisons “sont toujours les premières à fermer”.

Sur la toile, on trouve des témoignages de prisonniers qui ne peuvent ni recevoir ni acheter de livres – car leur prison ne leur donne accès à aucun catalogue vendant des livres. A noter également, sur Inside Time, un article qui s’interroge sur l’usage des catalogues dans les prisons britanniques – le gouvernement prélèverait-il une marge sur les commandes des prisonniers ?

La Grande-Bretagne a été le premier pays européen à privatiser ses prisons et on estime aujourd’hui que 15 % des prisonniers sont détenus dans des prisons privées en Angleterre et au pays de Galles. Cette politique de privatisation a récemment été remise en question quand la société Serco a été accusée d’avoir surfacturé l’Etat (et fourni des bracelets electroniques à des détenus qui était morts, en prison, ou qui n’avaient jamais existé).

La mesure intervient alors que le taux de suicide et de meurtres dans les prisons britanniques est au plus haut depuis six ans et qu’un détenu sur quatre vivrait dans une prison surpeuplée.

www.lesinrocks.com

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