lundi 17 mars 2014

Mélissa Theuriau s'intéresse aux mamans derrière les barreaux

Beaucoup de femmes incarcérées sont des mères. Une situation qui met à mal leurs relations avec leurs enfants.
 
Paris, mardi. Alexandrine (à gauche), sa mère Laurence (à droite) et Linda (avec le col roulé) entourent Mélissa Theuriau

LES DESSINS SOMBRES du petit Tony font écho à la colère d'Alexandrine. Tous deux font partie des milliers d'enfants séparés de leur mère incarcérée. Comment supportent-ils cette parenthèse ? Comment maintenir le lien, rester une bonne mère au-delà du délit commis ? Ce soir, le documentaire « Maman est en prison : l'absente » (M 6, 23 heures), produit par Mélissa Theuriau, bouscule certains préjugés en s'intéressant à ces femmes et à leur progéniture.

Pendant près d'un an, la réalisatrice Hélène Lam Trong a ainsi suivi Maïwenn, condamnée à vingt ans d'enfermement, qui a élevé sa fille en détention avant de s'en séparer dès ses 18 mois. Au centre pénitentiaire de Rennes, la journaliste a aussi croisé Céline, coupée de son fils Tony, 11 ans, qui redoute de lui rendre visite dans cet univers dont il a peur. A Fleury-Mérogis, elle a assisté à la sortie de Laurence, tant attendue par sa fille Alexandrine, et de Linda, pressée de retrouver ses trois enfants inquiets qu'elle récidive. Autant de mamans aimantes qui évoquent leur culpabilité et les dégâts collatéraux engendrés par leur séjour derrière les barreaux. Délicat et rare, le film libère aussi la parole de leurs enfants d'une étonnante maturité. Nous avons rencontré plusieurs de ces protagonistes mardi dernier.

Linda, 32 ans : «Je reste une mère»

Coquette et pleine de vie ce mardi soir auprès de deux de ses trois enfants âgés de 5 à 14 ans, Linda ne laisse rien entrevoir. Libérée après dix mois de détention pour vol, cette aide-soignante de 32 ans, cleptomane, porte pourtant un bracelet électronique depuis qu'elle a récidivé l'an dernier. Un aménagement qui lui permet de garder le contact avec sa progéniture. « On doit purger sa peine, mais on reste une mère, martèle cette brune au franc-parler, qu'Hélène Lam Trong a suivie pour son documentaire. Ce film montre bien que, même si vous avez fait des erreurs, on ne peut pas remettre en doute l'amour que vous portez à vos enfants. Or, on vous fait tellement culpabiliser... »

Quand elle était derrière les barreaux, Linda n'a pas vu sa fille et ses deux garçons. « Entre-temps, mon aîné s'est métamorphosé. C'est le plus dur : louper des choses, ne pas être là quand ils sont malades, affirme Linda. Moi, j'ai pris deux fois le risque de me procurer un téléphone portable, juste pour parler à mes enfants, leur rappeler que j'étais là quand même. »

Pas simple alors de retrouver le quotidien familial à sa sortie de Fleury-Mérogis, en décembre 2012. « J'avais perdu mon autorité, mon statut de mère. » Après sa récidive, la trentenaire a demandé à être internée en hôpital psychiatrique. « J'avais promis à mes enfants que je ne recommencerai plus, mais je n'ai pas réussi. Aujourd'hui, je suis une thérapie. Je tiens le bon bout, confie-t-elle. J'ai même retrouvé un emploi. »

Il lui reste l'essentiel à accomplir : retrouver la garde de ses enfants, confiés à leur grand-mère. « En voyant ce documentaire, ils ont pleuré et m'ont dit : on t'aime. Je crois qu'ils ont compris qu'on ne peut pas briser mon amour pour eux ».

Alexandrine, fille de Laurence, détenue un an et demi : « Sans ma grand-mère, j'aurais été sous les ponts »

Une maison cossue dans le Val-de-Marne, une situation confortable... « Rien ne pouvait laisser présager que je me retrouverai un jour derrière les murs de la prison de Fleury-Mérogis, que j'avais visitée en tant qu'attachée parlementaire dix ans avant, raconte Laurence (46 ans), mise en examen pour tentative d'homicide sur son mari et incarcérée de juin 2011 à décembre 2012. Tout a dérapé en quelques secondes. On doit payer notre dette, mais pas nos enfants. »

Libre en attendant d'être jugée, cette mère de trois filles et un garçon se bat désormais pour renouer avec ses deux cadets, restés avec leur père. « En prison, j'ai passé seize mois sans voir mes enfants, déplore-t-elle. J'ai fait trois semaines de grève de la faim et des tentatives de suicide. Puis j'ai tenu grâce à ma deuxième fille, Alexandrine. Actuellement, je ne suis autorisée à voir mes deux plus jeunes (de 11 et bientôt 15 ans) qu'une heure, deux fois par mois au sein d'une association. »

Attente d'un nouveau rapport

Vendredi, sa requête pour obtenir un droit de visite et d'hébergement a été rejetée. « Je suis déboutée, et on me condamne à verser une pension alimentaire, se lamente la quadragénaire. La fratrie continue d'être séparée, car la justice attend un nouveau rapport d'expertise prévu pour septembre. Il est intolérable de prendre ainsi des enfants en otages. »

« En une semaine, j'ai perdu ma mère, mon père m'a jetée dehors, et je n'ai plus eu le droit de voir mon petit frère et ma petite soeur restés avec lui », regrette Alexandrine, sa fille de 21 ans. « Ce film peut permettre de faire bouger les choses pour les enfants de détenus, assure-t-elle. Moi, j'avais 19 ans quand maman a été incarcérée, et on m'a dit de me débrouiller, car majeure. Sans ma grand-mère, j'aurais été sous les ponts. Et je n'ai vu mes frères et soeur que trois fois. » Aujourd'hui, Alexandrine rêve de retrouver sa fratrie, mais aussi de créer une association pour les enfants de détenus, afin qu'« ils puissent parler entre eux et partager ».

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