vendredi 28 mars 2014

" Mon objectif n'est pas de vous envoyer en prison "

Mathieu Auriol, juge de l’application des peines à Niort, reçoit, chaque mercredi, les condamnés du nord du département. Avant-hier, ils étaient huit.
 
A l'étage du palais de justice de Niort, le bureau de Mathieu Auriol, l'un des deux juges de l'application des peines (Jap) du tribunal de grande instance, donne sur les cours de promenade de la maison d'arrêt. Pourtant, comme le magistrat le dit à l'une des huit personnes qu'il reçoit ce mercredi, « mon objectif n'est pas de vous envoyer en prison ».

Chaque semaine, Mathieu Auriol étudie les demandes d'aménagement de peine (*) pour les condamnés qui vivent dans le nord des Deux-Sèvres. C'est lui aussi qui accompagne les délinquants placés sous surveillance électronique, ceux qui font l'objet d'un suivi sociojudiciaire, d'un sursis avec mise à l'épreuve – « le gros de la troupe » –, d'un placement extérieur (cure et post-cure de sevrage à l'alcool par exemple)…

 " Vous n'êtes pas convoqué pour un vol d'autoradio… "

Le Jap est également là pour rappeler aux condamnés leurs obligations. Tel est le cas de ce trentenaire de Bressuire qui purge sa peine de prison avec un bracelet électronique, conséquence de son implication dans un trafic de produits stupéfiants. A plusieurs reprises, dont trois en une semaine, il n'a pas respecté ses horaires d'assignation à résidence. Le centre de surveillance de Bordeaux a été prévenu.

 Mathieu Auriol recadre son interlocuteur, qui multiplie les explications : oubli du passage à l'heure d'hiver, hospitalisations de proches, retard en voiture… « Ce n'est pas admissible, le sermonne le juge. Juridiquement, même avec deux minutes de retard, on peut être dans un cas d'évasion. Aujourd'hui, je n'envisage pas de sanction. Mais que ce soit bien clair : jusqu'à la fin de la peine, je ne veux plus d'alerte ! »

" Je vous avertis "

Un peu plus tôt, c'est un quadragénaire, puni pour viols sur son épouse, que le Jap était allé chercher dans la salle d'attente. Malgré l'obligation d'indemniser la victime, cet habitant du Mauléonnais a arrêté de verser de l'argent. Quant aux soins qu'il doit suivre, il a eu du mal à s'exécuter.

« Je vous avertis, prévient Mathieu Auriol. Vous n'êtes pas convoqué pour un vol d'autoradio tout de même… » Le procès-verbal d'audition, systématique et tapé en direct par le magistrat, sera envoyé à son interlocuteur numéro un, le Service pénitentiaire d'insertion et de probation (Spip).

Un seul absent

Ce mercredi, sur les neuf hommes convoqués, il n'y a qu'un absent. Officiellement pour « maladie contagieuse ». Pas une première. Pour lui, ce sera vraisemblablement un débat contradictoire, en présence du représentant du parquet de Niort chargé de l'exécution des peines, le substitut du procureur de la République Nicolas Leclainche.

 La finalité ? Savoir si, oui ou non, son sursis sera révoqué, avec incarcération à la clé.

 (*) En France, les personnes non incarcérées, condamnées à une peine inférieure ou égale à deux ans d'emprisonnement, bénéficient, dans la mesure du possible et si leur personnalité et leur situation le permettent, d'un aménagement de peine.

profil

A Niort depuis janvier 2012

> Mathieu Auriol, 40 ans, est né à Bordeaux (Gironde), où il a obtenu sa maîtrise de droit.
En 1998, il devient conseiller d'insertion et de probation après sa formation à l'École nationale d'administration pénitentiaire (Enap), à Fleury-Mérogis, dans l'Essonne. Un établissement aujourd'hui basé à Agen (Lot-et-Garonne) et dans lequel il est chargé de formation depuis le début de cette année.
En 2006, il entre à l'École nationale de la magistrature (ENM), implantée à Bordeaux.
> Son premier poste sera, courant 2008, au parquet d'Alençon, dans l'Orne : il y est substitut du procureur de la République en charge de l'exécution des peines.
>  En janvier 2012, Mathieu Auriol arrive au tribunal de grande instance de Niort : en plus de sa fonction de Jap, il officie en tant que juge aux affaires familiales (Jaf) et préside, une fois par mois, une audience de tribunal correctionnel à juge unique.


repères

1.358 mesures
Au tribunal de grande instance de Niort, le service de l'application des peines (Sap) est composé de deux magistrats, Mathieu Auriol pour le nord du département et Cécile Souchet pour la partie sud. Deux greffiers et un agent administratif complètent l'équipe. Le premier nommé suit actuellement 558 mesures, la seconde 800, en plus des détenus de la maison d'arrêt de Niort, au nombre de 95 actuellement. « La norme pour un juge de l'application des peines à temps plein est d'environ 800 mesures », précise Mathieu Auriol. Le Jap est apparu en 1958 : on en dénombre actuellement 415 en France.

interview

Mathieu Auriol : " Notre travail au quotidien, c'est d'essayer de donner du sens aux peines "
Comment définiriez-vous la fonction de juge de l'application des peines ?

« Le Jap fait en sorte que la peine prononcée par le tribunal soit appliquée de manière intelligente pour prévenir la récidive et assister la personne dans tout ce qui peut amener à sa réinsertion grâce à des outils de suivi, notamment en veillant au respect des obligations fixées. L'idée est de susciter une remise en cause sur ce qui l'a conduit devant la justice. Quand j'aménage une peine, je n'ai pas le sentiment de défaire ce que les collègues de correctionnelle ont jugé : je vois cela comme une chaîne prenant en compte l'évolution du condamné. Notre travail au quotidien, c'est d'essayer de donner du sens aux peines. Nous jonglons entre deux aspects : le contrôle et l'assistance. »

Comment faire passer auprès du grand public cette idée qu'un condamné ne purge pas sa peine de prison derrière les barreaux ?

« Une peine qui est compréhensible pour tous, cela me paraît légitime. Prenons un exemple : une personne écope de trois mois d'emprisonnement ferme pour une énième conduite en état alcoolique. Si elle va en prison, elle ressortira sans forcément avoir résolu ses problèmes, parfois même en ayant perdu son logement, sa famille. Est-ce qu'il n'est pas plus important qu'elle la purge en placement extérieur, en suivant une cure à l'hôpital avec des soins alcoologiques ou psychologiques qui la feront vraiment avancer ? Je trouve que cette peine a plus de sens que la prison ferme. Il n'est pas question de faire plaisir, nous visons une peine intelligente pour la personne et pour protéger la société. Et elle n'est pas du tout indolore pour le condamné. »

Y a-t-il déjà eu des incidents dans votre bureau ?

« Non, mais il peut y avoir des tensions avec les condamnés, car je leur dis des choses pas forcément agréables. Les avocats ne sont pas souvent présents aux audiences Jap, sauf quand cela risque de " chauffer " un peu, notamment quand la personne se sent aux portes de la maison d'arrêt. Les condamnés connaissent l'enjeu. J'en ai certains qui arrivent avec leur sac dans mon bureau, persuadés qu'ils vont partir directement en prison alors que la loi leur offre des possibilités d'aménagement de peine. Quelque part, il faut leur démontrer que cette peine, même si elle ne se fait pas à la maison d'arrêt, doit résulter d'un projet concret tendant à leur réinsertion. S'agissant des suivis avec mise à l'épreuve, il faut leur faire comprendre que la peine avec sursis n'est pas virtuelle, qu'en cas de non-respect des obligations, nous n'allons pas brandir cinquante fois la menace de la sanction, mais que la peine va tomber si aucune évolution n'est constatée ou qu'une nouvelle infraction est commise en cours de suivi. Sinon, nous ne serions plus crédibles et la peine n'aurait aucun sens. »

Pouvez-vous être touché par des situations ?

« Nous mettons une distance professionnelle. Mais je suis très fréquemment touché par des parcours : si nous restons derrière des murs dans notre tour d'ivoire, je pense que nous ne faisons pas notre travail. »

en savoir plus

Deux textes clés

Deux passages d'articles des codes pénal et de procédure pénale sont la clé de l'action du juge de l'application des peines.

> Art. 132-24 du code pénal. « La nature, le quantum et le régime des peines prononcées sont fixés de manière à concilier la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de favoriser l'insertion ou la réinsertion du condamné et de prévenir la commission de nouvelles infractions. »

> Art. 707 du code de procédure pénale. « L'exécution des peines favorise, dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes, l'insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive. »
La Nouvelle République

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