mercredi 3 septembre 2014

Violence en prison : "On ne peut pas grandir à l'ombre"

Depuis 2011, un simple citoyen siège dans les commissions disciplinaires qui sanctionnent les détenus. L'un d'eux témoigne pour la première fois.
 
 En 2013, 4 000 gardiens de prison ont été agressés par des détenus.
En 2013, 4 000 gardiens de prison ont été agressés par des détenus
Placement au quartier disciplinaire, privation de parloir, travaux de réparation... Chaque année, environ 55 000 sanctions sont prononcées dans les prisons françaises. Les détenus qui ne respectent pas le règlement intérieur comparaissent devant une commission de discipline où siège, depuis juin 2011, un citoyen de la société civile*. "C'est la voix neutre qui permet l'équilibre entre, d'un côté, le personnel pénitentiaire et, de l'autre, le détenu et son avocat", explique Hélène Erlingsen-Creste. Dans un livre témoignage inédit, cette ancienne journaliste, docteur en sciences politiques, relate deux années d'audiences pénitentiaires au sein de la maison d'arrêt d'Agen. "J'ai le sentiment d'avoir ouvert une pièce qui a toujours été fermée", dit-elle.

Agressivité particulière

C'est par le prisme des dossiers défilant devant ce "tribunal" de la prison que sa plume a photographié le quotidien carcéral et posé des mots crus sur cet autre monde de violence, ignoré du grand public. "Les détenus parlent de la prison comme de l'épisode le plus violent et le plus difficile de leur vie", précise-t-elle, tout en soulignant que, au-delà des comportements coupables, "il y a des hommes et des femmes".
"Le détenu a une marge d'action très réduite. Quand l'air est irrespirable dans la cellule, il faut l'accord des autres ou de l'éventuel caïd pour entrouvrir la fenêtre. Il est difficile d'imaginer comment, psychologiquement, le détenu peut pallier, dans un si petit espace, l'annonce d'une mauvaise nouvelle qui vient de l'extérieur : la maladie d'un enfant, la disparition d'un proche, etc. (...) Le silence du dehors est tout aussi assourdissant. Sans nouvelles de ceux qui sont chers, sans éléments positifs et concrets qui peuvent l'aider à entrevoir l'avenir, le détenu a l'impression que sa vie lui échappe. Pour s'affirmer, il n'a qu'une cellule qu'il doit partager avec des gens qu'il n'a pas choisis (...)", écrit-elle.
Ce qui explique l'"agressivité particulière" que certains développent en prison. "Ils plongent dans une profonde détresse et, parfois, lâchent prise en se droguant, s'automutilant... La plupart du temps, on a affaire à des gens désespérés", observe Hélène Erlingsen-Creste.
Et le remède, face à la solitude de l'incarcération, est souvent pire que le mal. "Beaucoup de détenus prennent des traitements. L'abrutissement aux psychotropes, légaux ou illégaux, vient difficilement à bout de ce mal de vivre. C'est chez les femmes que ce problème m'est apparu le plus aigu. Certaines détenues ressemblent à des zombies : elles ne marchent plus droit", écrit l'auteur, émue par Margot, Samia et les autres.

Surveillants agressés

À la maison d'arrêt d'Agen, qui compte environ 150 détenus, près de 250 sanctions sont prononcées chaque année. Les fautes se répartissent en trois catégories, depuis les moins graves, comme le fait de jeter des objets par la fenêtre ou de négliger la propreté de sa cellule, jusqu'aux plus graves, notamment la tentative d'évasion ou l'introduction de substances dangereuses. Entre les deux figurent la détention de portables ou de stupéfiants ou encore les agressions de surveillants. "Ces agressions sont quotidiennes. Je ne sais pas comment les surveillants parviennent à supporter toutes les insultes et les coups qu'ils prennent de la part des détenus." Sans compter les menaces : "On verra si tu feras le malin dehors, on sait où habite ta femme", "je te ferai sauter la bagnole...". En France, en 2013, 4 000 surveillants ont été victimes d'agressions. Et pourtant, note l'auteur, "ils font le maximum, ils sont humains, compréhensifs et donnent du temps à ceux dont ils ne souhaitent surtout pas connaître le passé".

Mitard

La sanction la plus lourde et la plus éprouvante est le placement du détenu pendant 30 jours maximum dans une cellule disciplinaire, le "mitard". "C'est une pièce où les meubles sont scellés. Il y a juste une petite fenêtre en hauteur. C'est aussi glacial qu'une cave", commente Hélène Erlingsen-Creste. "Les détenus ont néanmoins une radio et un accès au parloir, ils peuvent sortir dans une cour, mais seuls." "Néanmoins, nuance l'auteur, certains détenus demandent à être placés à l'isolement pour préparer une formation ou tout simplement parce qu'ils n'en peuvent plus de vivre serrés les uns sur autres. Ils disposent alors d'une cellule individuelle, un véritable luxe !"
Certains détenus sont des abonnés de la commission de discipline. Ce qui les privera, plus tard, des droits que la loi leur offre pour abréger leur temps de détention. Le juge de l'application des peines peut en effet décider de supprimer des crédits de réduction de peine. De plus, le comportement disciplinaire est pris en compte pour d'éventuelles permissions de sortie, une libération conditionnelle ou le placement d'un bracelet électronique dans le cadre d'un aménagement de peine.
Depuis cette immersion dans le lieu le plus secret des prisons, Hélène Erlingsen-Creste porte un regard contrasté sur l'enfermement. "La prison est une solution à double tranchant. Les gens ressortent de là plus abîmés qu'ils ne sont rentrés. Les voleurs continuent à voler, les drogués se droguent, d'autres rackettent et frappent", relève-t-elle. "On ne peut pas grandir à l'ombre", lui avait confié une jeune fille de 18 ans, condamnée à l'âge de 14 ans pour meurtre.
* Des recours contre la décision de la commission sont possibles auprès de la Direction interrégionale pénitentiaire puis du tribunal administratif.
L'abîme carcéral, une femme au sein des commissions disciplinaires, Max Milo, 18 euros (les droits d'auteur seront intégralement reversés à des associations caritatives).

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