lundi 28 avril 2014

Pourquoi il faut supprimer les peines planchers

Un nouveau record a été atteint dans les prisons françaises : 68 859 personnes étaient incarcérées au 1er avril, en augmentation de 2 % par rapport à l'année précédente. En treize ans, la population carcérale a augmenté de 44 %, à comparer avec une hausse de 8 % de la population générale. De deux choses l'une : ou bien la délinquance a explosé dans des proportions étonnantes, ou bien la justice emprisonne davantage. Un examen de bonne foi montre à l'évidence que la justice est plus sévère : la moyenne des peines fermes d'emprisonnement est passée de 8,7 à 11,3 mois entre 2007 et 2011. Et 30 % des peines prononcées (hors contentieux routier) sont de la prison ferme – contre 5,5 % en Allemagne.

Un nouveau record a été atteint dans les prisons françaises : 68 859 personnes étaient incarcérées au 1er avril, en augmentation de 2 % par rapport à l'année précédente.
  Un nouveau record a été atteint dans les prisons françaises : 68 859 personnes étaient incarcérées au 1er avril, en augmentation de 2 % par rapport à l'année précédente
Les conditions de détention sont, chacun en convient, difficiles sinon indignes. Aujourd'hui, 1 009 détenus dorment sur un matelas par terre, contre 345 trois ans plus tôt. Il y a 57 680 places opérationnelles en prison (1,2 % de plus que l'an dernier), et le nombre de détenus en surnombre est désormais de 14 141 (en hausse de 7,8 % par rapport à 2013).

Voir aussi : Les chiffres-clés de la population carcérale
Il va donc bien falloir faire un choix : construire de nouvelles prisons ou comprendre pourquoi les établissements se remplissent aussi vite. Christiane Taubira a annoncé la construction de 6 000 places supplémentaires d'ici à 2017, et la rénovation, urgente, des plus vieux établissements. Mais construire des prisons coûte cher : de l'ordre de 32 000 euros par an et par détenu. Or pour la première fois en 2012, le budget de l'administration pénitentiaire (3,24 milliards d'euros), pourtant très serré, a dépassé celui des juridictions (3,12 milliards).

Il y a la possibilité de construire des prisons avec un partenariat public-privé (PPP) : l'Etat délègue la construction au privé et paie un loyer, cher, et longtemps. La garde des sceaux s'est contentée de confirmer les dix PPP déjà engagés, et d'en signer trois autres. Ces contrats représentaient 122,8 millions d'euros à payer en 2013. Le meilleur exemple reste la construction du nouveau tribunal de Paris, lancée par le précédent gouvernement. « Aux termes de ce contrat de vingt-sept ans, en 2043, a indiqué Mme Taubira, l'Etat, deux générations après nous, aura payé 2,7 milliards d'euros pour un investissement de 679 millions. Comme démonstration de bonne gestion, je crois qu'on a déjà fait mieux. » Pour construire de nouvelles prisons, il va falloir réfléchir à lever un impôt. On conviendra que la conjoncture ne s'y prête guère.

Lire aussi le décryptage : A quoi ressemblera la "peine de probation" ?

Une autre approche, très contestée, est possible : celle que propose la réforme pénale, que le Parlement devrait examiner à partir de juin. Parmi les mesures, la peine de probation, « la contrainte pénale », vise en fait davantage à prévenir la récidive qu'à vider les prisons. Elle s'intéresse aux très courtes peines, qui sont déjà dans l'ensemble aménagées : son impact sur la surpopulation sera marginal. En revanche, le projet de loi envisage – enfin – deux mesures qui auront un impact réel.
D'abord, la suppression de la révocation automatique des sursis : un condamné, libre mais sous le coup d'un sursis simple, s'il est jugé à nouveau pour le vol d'une pizza, voit l'ensemble de son sursis sauter et est écroué. Compte tenu des délais de transmission des informations du casier judiciaire, le juge ne connaît pas toujours l'existence de ce sursis et prend une décision dont il n'a pas pu mesurer les conséquences. L'étude d'impact de la réforme pénale évalue à 1 700 ces personnes qui seraient condamnées, mais cette fois pas écrouées.

Surtout, la suppression des peines planchers, ces peines minimales qui s'appliquent surtout aux petits délits (notamment à cause des comparutions immédiates) et s'imposent au juge sauf motivation contraire, devrait soulager les prisons de 2 300 personnes. Terra Nova, un think tank, certes de gauche, a publié le 9 avril une étude incontestable sur ces peines automatiques. La loi du 10 août 2007 qui les a instaurées, en urgence et sans étude d'impact préalable, visait d'abord les condamnés en récidive légale, puis a été étendue en 2011 aux violences aggravées sans récidive. Trois études françaises permettent de faire le bilan de ces lois sur plus de cinq ans, confortées par nombre d'expériences anglo-saxonnes.

« VOUS ENTREZ AVEC UN CAP DE VOLEUR À LA TIRE, VOUS EN SORTEZ AVEC UN MASTÈRE DE CRIMINOLOGIE »

Il n'a jamais pu être établi que ces peines dissuadaient de récidiver, ce qui était quand même l'objectif. Les Canadiens l'ont mesuré : les délinquants sont plus sensibles au risque d'être attrapés qu'au montant de la peine, et il n'est pas douteux que nombre de crimes ou de délits sont commis sous le coup d'une pulsion, de l'alcool ou de la drogue.

Les conséquences sur les prisons, en revanche, sont nettes. Sur la période 2004-2006, le taux de peines minimales était de 8,4 %. Après la loi (2008-2010), il est passé à 40,7 %. Le nombre de mois de prison ferme, entre les deux périodes, a été multiplié par 1,6 (de 6,7 à 11 mois). Au total, 4 000 années de prison supplémentaires sont prononcées tous les ans.

Les peines planchers ne résolvent rien, et les petits délinquants en sortent même plus aguerris qu'ils sont entrés. Un détenu l'avait bien résumé en février, à la conférence de consensus sur la prévention de la récidive : « Vous entrez avec un CAP de voleur à la tire, vous en sortez avec un mastère de criminologie. »

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