vendredi 18 avril 2014

Surpopulation carcérale : pourquoi il faut construire 30.000 places de prison

Avec 68.859 personnes incarcérées, le nombre de détenus atteint un nouveau record alors que la capacité des établissements pénitentiaires est de seulement 57.680 places. Pour l'Institut pour la justice, il faut lancer un vaste plan de construction de 20.000 à 30.000 places.
 
Alexandre Giuglaris est délégué général de l'Institut pour la justice.
Les derniers chiffres de la population carcérale viennent d'être rendus publics. La France comptait, au 1er avril, 68.859 personnes incarcérées. Cela représente un record. Dans le même temps, la surpopulation carcérale a elle aussi augmenté puisque le nombre de places de prison n'évolue pas au rythme de l'augmentation du nombre de détenus. On compte environ 11.000 détenus de plus que le nombre de places existantes.

Il n'en a pas fallu plus pour entendre une nouvelle fois le traditionnel concert des idéologues passéistes et laxistes intervenir et réclamer à cor et à cri la fin du «tout-carcéral», de cette France «ultra-répressive» et l'urgence de lutter contre la supposée obsession de la prison dans notre justice pénale.
Il convient tout d'abord de rappeler que l'augmentation du nombre de détenus correspond d'abord et avant tout à une augmentation importante et continue de la criminalité. Qui dit plus de criminalité dit heureusement plus de condamnations, donc plus de détenus…
C'est une nouvelle fois la démonstration d'un certain aveuglement ou d'une non moins dangereuse malhonnêteté. En effet, il convient tout d'abord de rappeler que l'augmentation du nombre de détenus correspond d'abord et avant tout à une augmentation importante et continue de la criminalité. Qui dit plus de criminalité, dit heureusement plus de condamnations, donc plus de détenus… Pourtant, cette évidence n'est jamais évoquée quand on parle de la hausse de la population carcérale. Sans parler du fait que la chaîne pénale, insuffisamment dotée de moyens suffisants et d'armes juridiques, ne peut répondre à cette hausse de la criminalité et donc que la hausse des condamnations n'est pas à la hauteur de la hausse de la délinquance.
«Nous disposons de 57.235 places de prison, l'Espagne compte presque 76.000 places de prison pour une population d'un peu moins de 50 millions d'habitants, le Royaume-Uni, environ 96.200 pour une population identique à la nôtre»
Manuel Valls
Plutôt que de penser à la responsabilité des délinquants et des criminels dans leur incarcération, nos chers idéologues préfèrent toujours mettre en cause la sévérité de la justice pénale et l'obsession de la prison comme causes de la (sur)population carcérale.

Faut-il alors leur rappeler que la France compte un nombre de détenus et surtout de places de prison bien inférieurs à la moyenne européenne? On pourrait d'ailleurs évoquer la lettre que Manuel Valls avait envoyée à François Hollande quand il s'opposait, l'été dernier, à la réforme pénale de Christiane Taubira. Il écrivait alors: «Nous ne pouvons totalement ignorer la question du dimensionnement du parc immobilier pénitentiaire», soulignant à juste titre que «nous disposons de 57.235 places de prison», «l'Espagne compte presque 76.000 places de prison pour une population d'un peu moins de 50 millions d'habitants, le Royaume-Uni, environ 96.200 pour une population identique à la nôtre».
Nos Diafoirus du champ pénal ne sont pas très sensibles à ces évidences et préfèrent toujours imposer leur remède à la surpopulation carcérale: la réduction à tout prix du nombre de détenus. Puisque les détenus ne sont pas responsables de leurs condamnations et de leurs actes, c'est bien les peines et l'arsenal pénal qui est la cause de cette surpopulation. Je crois utile de préciser que je partage totalement l'idée que la surpopulation carcérale est inacceptable tout comme l'est tout autant les quelques établissements pénitentiaires insalubres toujours utilisés.

Puisque les peines sont les seules responsables de la surpopulation, changeons les peines. Voilà la logique qui sert aujourd'hui d'argumentation à la suppression des peines plancher prévue dans la réforme pénale. Car l'argument du pouvoir d'individualisation restauré du juge, qui est aussi parfois avancé, ne tient pas, quand on sait que cette réforme crée de nouveaux automatismes… Mais revenons-en à la (sur)population carcérale et au prétendu «tout-carcéral» français.
Si la population carcérale a augmenté de 2 % en un an, les aménagements de peine ont eux augmenté de plus de 12 %.
On l'a vu, les chiffres démontrent le contraire. Mais l'autre argument souvent avancé pour réduire la population carcérale est de dire: la prison est l'école du crime et elle ne permet pas de réinsérer. Si l'on accepte cette fausse évidence éculée, et tout à fait discutable, on pourrait se dire: la prison dysfonctionne, réformons-la. Parce que, finalement, la prison assure aussi la sécurité des Français. Mais non, plutôt que de réformer, nos idéologues veulent éviter la prison avant d'espérer pouvoir un jour la supprimer totalement. On ne s'attardera pas sur la négation du réel et de la criminalité que cela représente, mais plutôt sur l'idée toujours avancée par nos chers propagandistes du champ pénal qu'il faut absolument développer les alternatives à la prison et les aménagements de peine.

Malheureusement pour leur argumentation, la France est déjà championne dans ce domaine. Si la population carcérale a augmenté de 2 % en un an, les aménagements de peine ont eux augmenté de plus de 12 %. Et comme cela est écrit noir sur blanc dans l'étude d'impact de la réforme pénale, «la France est l'un des pays où la part des personnes écrouées mais non détenues est la plus importante». On ajoutera enfin que les condamnations à de la prison ferme représentent moins de 20% des condamnations pénales. On comprendra alors que, décidément, les postures idéologiques opposées à la prison ont bien du mal à résister à l'épreuve des faits et des chiffres.
Construire ces places de prison permettrait de répondre à l'inexécution des quelque 100.000 peines de prison ferme en attente d'exécution ...
Vient alors l'heure, non plus d'un diagnostic, mais de solutions réelles, pragmatiques et crédibles.
L'évidence s'impose. La France manque de places de prison. Il faut lancer un vaste plan de construction de 20.000 à 30.000 places. Ce plan permettrait de répondre enfin à une multiplicité de dysfonctionnements et de scandales de notre système judiciaire.

Construire ces places de prison permettrait évidemment de mettre fin à l'inacceptable surpopulation carcérale sans diminuer artificiellement et dangereusement le nombre de détenus. Rappelons que toutes les périodes de libérations massives de détenus, notamment lors des grandes lois d'amnistie, ont toujours été suivies d'une hausse importante de la criminalité.

Aller jusqu'à 30.000 constructions permettrait dans le même temps de fermer les établissements insalubres qui sont indignes de notre pays. Cela permettrait également de créer des établissements pénitentiaires plus spécialisés selon le profil des détenus et faciliterait le développement des obligations et activités des détenus (travail, scolarisation, lutte contre les addictions…) qui sont indispensables à un réel souci de réinsertion.

Construire ces places de prison permettrait aux personnels pénitentiaires de travailler dans de meilleures conditions, car le niveau de densité carcérale a un impact direct et très concret sur le niveau de sécurité à l'intérieur des établissements pénitentiaires.
La prison n'est évidemment pas l'unique réponse à la délinquance, et toutes les alternatives à la détention sont nécessaires. Néanmoins, quand une peine de prison est prononcée, elle doit être purgée.
Construire ces places de prison permettrait de répondre à l'inexécution des quelque 100.000 peines de prison ferme en attente d'exécution chaque année tout en renonçant aux alternatives à la détention et aux aménagements de peine qui n'ont été créées que pour faire face aux flux trop importants de condamnations. Il en va ainsi du principe de l'aménagement ab initio des peines de prison ferme jusqu'à deux ans. La prison n'est évidemment pas l'unique réponse à la délinquance, et toutes les alternatives à la détention sont nécessaires. Néanmoins, quand une peine de prison est prononcée, elle doit être purgée. Sinon, il doit s'agir d'une autre peine. Or, avec ces aménagements ab initio jusqu'à deux ans, le principe est devenu la non-exécution de la peine en prison… Chacun appréciera la crédibilité de la justice qui en ressort et dont les forces de sécurité et les magistrats sont tenus pour responsables.

Il n'est plus temps d'attendre. Nos responsables politiques doivent prendre ce problème à bras-le-corps, car il en va de la sécurité des Français, de la crédibilité de la justice et du maintien de l'autorité républicaine.

Le Figaro

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