Après l'agression, mardi, de deux des leurs par un détenu radicalisé et sa compagne à Condé-sur-Sarthe, des gardiens de prison ont accepté de décrire à franceinfo leurs difficiles conditions de travail.
"On n'est pas du tout en sécurité", confie Marine*, jeune surveillante pénitentiaire stagiaire dans une maison d'arrêt de région parisienne.
Après que deux des leurs ont été poignardés par un détenu radicalisé au centre pénitentiaire de Condé-sur-Sarthe (Orne), mardi 5 mars, des surveillants pénitentiaires ont accepté de témoigner auprès de franceinfo. Ils décrivent leurs difficiles conditions de travail, qui conduisent nombre de leurs collègues à faire grève et à bloquer l'entrée de plusieurs prisons, comme ils l'avaient déjà fait en janvier 2018, après l'agression par un détenu jihadiste de trois surveillants à la maison centrale de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais).
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"Les détenus sont de plus en plus difficiles à gérer. Ils ont de moins en moins peur de l'uniforme", estime Julien, surveillant pénitentiaire à Villepinte (Seine-Saint-Denis). En quatre années de métier, le trentenaire a déjà été agressé "à deux reprises". La première fois, il a reçu "des crachats au niveau du visage". La seconde, il a été frappé à coups de poing et de pied par un détenu mineur qui s'est jeté sur lui, raconte-t-il.
"On a le stress de la suite de l'agression"
A Toul (Meurthe-et-Moselle), son collègue Sebastian a "évidemment" été agressé "quatre à cinq fois physiquement" en dix-sept ans de carrière, de centrales en centres de détention en passant par les maisons d'arrêt. L'agression la plus grave a eu lieu lors d'une distribution de médicaments, relate-t-il. En ouvrant une cellule, il a vu que le détenu qui devait recevoir son traitement médical tenait dans la main une barrette de shit. Le prisonnier a refusé de la donner au gardien et l'a assailli. Le gardien se souvient avoir été attiré dans la cellule où les six occupants l'ont roué de coups, le blessant gravement au bras.
Et ces agressions laissent des traces, souligne Julien. "On a des angoisses pour revenir au travail. On a le stress de la suite de l'agression, que les autres détenus s'emparent de ça pour nous mettre la pression, nous faire peur." Marine, elle, n'a encore jamais été attaquée par un détenu. Mais "on se fait insulter quasi quotidiennement", souligne-t-elle.
Il n'y a pas une journée où je commence mon travail sans me demander comment ça va se passer.
"Marine", surveillante stagiaire
à franceinfo
Outre la violence du quotidien, les surveillants pénitentiaires dénoncent aussi le manque d'effectifs. "Sur mon établissement, pour gérer entre 190 et 200 détenus, au mieux pour l'instant on est entre deux et trois", évalue Marine. Par conséquence, il n'est pas rare que les gardiens de prison fassent entre 40 et 50 heures supplémentaires par mois, évaluent Julien et Sebastian. "A force, on use le personnel", déplore ce dernier.
Sifflet, radio et gilet pare-coups
En cas de problème avec les détenus, les surveillants pénitentiaires se sentent démunis, avec leur sifflet et leur radio pour donner l'alerte, déplorent Marine et Julien. Et pour se protéger, ils n'ont au quotidien que leur gilet pare-coups, qui laisse passer les lames, dénoncent-ils.
Comme beaucoup de ses collègues, Julien plaide en faveur des pistolets à impulsion électrique. "C'est une bonne chose pour certains endroits comme les quartiers disciplinaires ou dans le cas d'un détenu retranché", estime Sebastian. Marine souhaite aussi l'arrivée en renfort de brigades cynophiles et de chiens capables de renifler la présence de produits suspects.
Sebastian se fait, lui, l'écho d'une autre revendication de ses collègues. "On ne peut pas fouiller les visiteurs comme ça, c'est tout un protocole très compliqué", regrette-t-il. "Et encore, je ne parle que des palpations, pas des fouilles à corps. Si un visiteur refuse de se faire palper, pour le fouiller, on est obligé de faire venir la police."
Ce qu'on touche, comparé aux missions qu'on a, comparé aux risques qu'on prend, je trouve ça complètement dérisoire.
"Marine", surveillante stagiaire
à franceinfo
De telles conditions de travail ne font pas rêver. Les surveillants pénitentiaires en ont bien conscience et demandent une revalorisation salariale, qu'ils jugent seule à même de susciter les vocations. "Il n'y a personne qui se lève le matin, en étant jeune, en se disant : 'Je veux devenir surveillant pénitentiaire'", juge Julien. "Qui aurait envie, à l'heure actuelle, d'aller dans des centres pénitentiaires pour 1 400 euros par mois en début de carrière et 2 100 euros de fin de carrière ?", interroge Sebastian. "Il faut que la ministre nous écoute, qu'elle entende la détresse des surveillants pénitentiaires", implore Julien.
* Le prénom a été modifié à la demande de l'intéressée.
Franceinfo
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