lundi 11 novembre 2013

Comment les bandes se reforment en prison

L'agression de cinq surveillants du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier, la semaine dernière, témoigne d'une population carcérale en pleine mutation.
 
Le centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier (Isère) accueille près de 500 détenus pour 380 places prévues à l'origine.
 
Il défraye la chronique depuis son ouverture au début des années 1990. Le centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier (Isère) a été une nouvelle fois sous les feux de la rampe la semaine dernière, avec cinq surveillants agressés par deux détenus. L'un a été mordu profondément au bras, l'autre sauvagement assailli et menacé de strangulation, tandis que les trois autres surveillants ont été blessés en essayant de maîtriser le détenu pour le conduire au quartier disciplinaire.

Cette prison moderne, où se côtoient maison d'arrêt et centre de détention, fait partie des établissements à haut risque de la carte pénitentiaire. «En 2012, souligne Alain Chevallier, secrétaire local de l'Ufap-Unsa-justice, le principal syndicat des personnels pénitentiaires, Saint-Quentin-Fallavier a enregistré 83 agressions de surveillants en sachant qu'ils sont 84 à être au contact des détenus. Ce qui signifie que certains d'entre eux ont été agressés plusieurs fois.»

Ce constat s'ajoute à la litanie des dysfonctionnements depuis la création de cette prison. Elle a été la première du «Plan 13.000» à subir une évasion, malgré son système de sécurisation high-tech. Elle constitue aussi un cas de gestion désastreuse et présenterait un niveau d'endettement tel que «plus aucun de ses fournisseurs - du médecin au Bricorama local - n'accepte de lui faire crédit», souligne Alain Chevallier. Enfin, au printemps, a éclaté le scandale d'exactions commises sur des détenus, depuis 2010, par sept surveillants, impliquant des membres de la hiérarchie dont un chef de la détention et le directeur adjoint, le tout couvert par l'Administration pénitentiaire (AP).
«Elle (la prison de Saint-Quentin-Fallavier) fait partie, avec Saint-Étienne, Lyon Corbas ou encore Villefranche-sur-Saône, des prisons les plus difficiles.  »
Jean-Michel Dejenne (Syndicat national des directeurs pénitentiaires)
De quoi fragiliser un établissement connu pour l'extrême dureté des détenus. Car cette prison surpeuplée prévue pour 380 places et qui accueillerait, selon les syndicats de surveillants, près de 500 détenus, est située dans l'une des zones géographiques qui concentrent la délinquance la plus violente, avec la région parisienne, Bordeaux et Toulouse. «Saint-Quentin-Fallavier voit affluer des détenus de tout le sillon rhodanien, notamment des grandes banlieues lyonnaise et grenobloise, jusqu'à Avignon. Il cumule des populations liées au milieu, mais aussi soumises aux phénomènes de banlieue. Elle fait partie, avec Saint-Étienne, Lyon Corbas ou encore Villefranche-sur-Saône, des prisons les plus difficiles. Et de la délinquance la plus agressive. Le plus étonnant, c'est que ce qui s'est passé à Saint-Quentin ne soit pas le quotidien de la pénitentiaire», souligne Jean-Michel Dejenne, premier secrétaire du Syndicat national des directeurs pénitentiaires.

Les bandes se recréent et tirent les ficelles de l'organisation carcérale

En filigrane, l'évolution de la population carcérale au cours de ces quinze dernières années. «Nous sommes confrontés à un niveau de violence jamais atteint, avec des détenus de plus en plus jeunes qui n'ont plus peur de la prison, s'inscrivent dans une confrontation et un refus permanents de l'autorité. Il ne s'agit pas pour eux de purger leur peine comme le faisaient jadis les grands délinquants, même s'ils n'étaient pas des anges», explique Stéphane Barrot, secrétaire général de l'Ufap-Unsa-justice. «Il serait faux de croire qu'il y ait eu un âge d'or de la population carcérale, tempère Jean-Michel Dejenne, mais si les grands braqueurs étaient accaparés par la préparation de leur évasion, les délinquants actuels n'ont même pas de code entre eux. Les agressions en prison suivent l'augmentation des atteintes aux personnes à l'extérieur». Selon les chiffres clés de l'AP, les détenus de 21 à 25 ans ont représenté, en 2012, 18% de la population sous écrou, contre 17% il y a cinq ans. «Les grands délinquants, cela n'existe plus», tranche un surveillant passé par Poissy, Nanterre ou Clairvaux et qui dénonce «des violences allant crescendo au point que certains détenus commettent des exactions pour se retrouver au quartier d'isolement afin d'éviter la pression des caïds».

Les bandes se recréent et tirent les ficelles de l'organisation carcérale. Le phénomène est amplifié par la politique d'affectation des détenus. «L'obligation de proximité avec les familles fait que tous les délinquants d'une cité peuvent se retrouver dans la même prison. Ou bien parce que des établissements comme Meaux, Melun ou Réau sont pleins à craquer, des condamnés de la région parisienne se retrouvent avec ceux de Châteaudun ou Villenauxe, réputés pour leur dureté», regrette un directeur. Et de rappeler le cas de ce détenu de Châteaudun qui, ayant bénéficié d'une autorisation de sortie l'été dernier, refusait de rentrer et appelait le personnel pénitentiaire et les magistrats en disant qu'il voulait bien retourner purger sa peine à condition d'être incarcéré à Chartres ou Orléans, car il n'avait pas rapporté la drogue commandée et redoutait de «se faire massacrer».

Le Figaro

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