samedi 8 octobre 2016

Et la Californie inventa la prison payante !

Certains condamnés peuvent choisir de purger leur peine dans une prison municipale plus confortable que celle du comté. À condition de payer...

Et la Californie inventa la prison payante !

« C'est ici que vivait Kiefer Sutherland », explique Juan Lopez en montrant une grande pièce sans fenêtre éclairée par des néons blafards.



« Il y a passé 48 jours en plein milieu de la série 24 Heures chrono. Il était préposé au lavage et au pliage des uniformes. Sutherland ? Lavage ? Uniformes ? Ce n'était pas le tournage d'un film.

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En 2007, l'acteur d'Hollywood a été arrêté pour conduite en état d'ivresse près de Los Angeles et comme c'était la quatrième fois, il a été condamné à une peine de prison. Mais pas dans n'importe quelle prison.

En Californie, certains individus ont le droit - avec l'aval du juge -de choisir le lieu de leur détention. Ils peuvent décider d'aller dans l'établissement pénitentiaire du comté, à peu près aussi riant que les cachots de la Bastille ou opter pour une prison municipale qui leur garantit plus de confort et de sécurité. En échange, bien sûr, d'espèces sonnantes et trébuchantes.

Moyennant 90 dollars la nuit, ils ont la possibilité d'effectuer, comme Kiefer Sutherland, leur peine à Glendale, dans la banlieue de Los Angeles, pas loin des studios Disney.

Le quartier des “pay to stay” (séjours payants), comprend un dortoir de dix lits superposés avec casiers métalliques, et une salle commune équipée d'une table, de chaises et d'un poste de télévision. Le tout peint dans des tons crème et corail, une couleur très innovante pour un centre de détention fait remarquer fièrement Juan Lopez, l'administrateur de la prison qui, en costume-cravate, ressemble plus à un gérant d'hôtel qu'à un maton.

Ce n'est pas tout à fait le Ritz. Il n'y pas d'oreiller en plume, le sol est en béton, les prisonniers sont tenus de se réveiller à 5 heures du matin et n'ont le droit d'apporter qu'un livre (on leur fournit savon et brosse à dents). Ils ne peuvent pas non plus zapper à leur gré et doivent se contenter de regarder la chaîne favorite du gardien-chef.

“Mieux vaut que ce ne soit pas un amateur de dessins animés”, plaisante Juan Lopez qui insiste bien sur le fait que les détenus “n'ont pas de privilèges particuliers. Ce n'est pas une retraite pour l'élite d'Hollywood.”

Mais c'est tout de même le grand luxe à côté de la prison du comté, sale, surpeuplée, où s'entassent malfrats et déséquilibrés en tout genre. À Glendale, il y a deux douches, des toilettes fermées par une porte et surtout il règne un calme total.

“Merci d'avoir changé ma vie”

N'importe qui n'a pas le droit de venir purger sa peine dans ces oasis carcérales. Le recrutement est presque aussi sélectif que celui des étudiants d'Harvard. Tout candidat doit passer un entretien et la prison rejette systématiquement les individus violents ou drogués.

Paris Hilton par exemple, l'héritière de la chaîne d'hôtels, a été refusée. Il faut être en effet à peu près sobre, mais accepter aussi de nettoyer les douches et de préparer les plateaux-repas.

La plupart des détenus viennent purger de courtes peines – de 48 à 72 heures – pour conduite en état d'ivresse, vol à l'étalage… Mais le séjour peut durer six mois comme pour ce fils de cheik arabe.

Quand on l'a affecté à la lingerie, il n'avait jamais vu de machine à laver et ne savait même pas qu'un tel engin existait. Apparemment, ça lui a plu. À sa libération, il a envoyé à la prison une plaque de remerciement sur laquelle il a fait graver : “Merci d'avoir changé ma vie.”

Ce jour-là à Glendale, l'aile payante est déserte. Un grand nombre de détenus préfèrent venir y passer le week-end, ce qui leur permet de dissimuler leurs démêlés avec la justice et de continuer à travailler.

Comme sur Trivago.fr, ils réservent leurs dates et paient à l'avance, puis entrent par une porte séparée le vendredi soir et repartent le lundi matin. Parmi eux, il y a beaucoup de “gens de statut”, des cadres de studio, des pipoles comme Nicole Richie, styliste et fille de Lionel, des acteurs.

Celui qui a le plus marqué Juan Lopez reste Kiefer Sutherland. “Il travaillait ici, dit-il en faisant visiter la petite lingerie occupée par un lave-linge et une pile d'uniformes bleus. S'ensuit un silence recueilli comme si on était devant le tombeau de Lénine, puis il ajoute moitié sérieux : 'Il a fait un boulot fantastique, je l'aurais bien embauché !'

Et pourtant, c'était le cirque à l'extérieur. Les médias campaient jour et nuit devant l'entrée, les fans envoyaient des tonnes de courrier et même des gâteaux d'anniversaire. Pendant 48 jours, la direction de la prison a vécu dans la terreur que des photos de Sutherland ne surgissent dans la presse à sensation.

Le jour de sa libération, on a fait coucher l'acteur sur le plancher d'une voiture, recouvert d'une couverture, pendant que l'on relâchait deux ivrognes pour occuper les télés. D'un point de vue marketing cependant, le séjour de la star s'est révélé très positif. Glendale a été inondée d'appels et a affiché complet dans les mois qui ont suivi.

143 dollars la nuit... en prison

Comme dans l'hôtellerie, la concurrence sévit. Une douzaine de centres de détention proposent ce genre de prison 3 étoiles. Tous – ou presque – bizarrement situés dans le sud de la Californie. Est-ce à cause de la concentration de célébrités déjantées ou parce que la condition des prisons y est pire qu'ailleurs ? Mystère.

En tout cas, pour attirer le client, ils n'hésitent pas à faire de la retape. 'L'établissement assure un environnement propre, sain et sûr', claironne le site d'Anaheim avec une photo d'un salon confortable.

Le centre pénitentiaire de Seal Beach, lui, a passé une pub dans le journal : 'Pourquoi purger votre peine de 365 jours ou moins dans la prison du comté ? Nous offrons les services suivants : écran télé plat, une salle média/ordinateur, des locaux propres et des lits neufs.' Juan Lopez est hostile à ce genre de promo indigne, à son avis, d'un établissement carcéral. Lui, sa stratégie commerciale, c'est de casser les prix.

Car les prestations et les tarifs varient d'un endroit à l'autre. Pasadena, pas très loin de Glendale, facture 143 dollars la nuit, le prix du motel du coin. 'Nous sommes le Hilton des prisons,' plaisante Michelle Robinson, l'administratrice, une grande Noire dynamique.

Le dortoir est équipé de deux bicyclettes d'exercice, d'une télé avec DVD et d'une petite bibliothèque.

L'un des pensionnaires a laissé le célèbre roman de science-fiction, Stranger in a Strange Land (En terre étrangère). Les détenus ont aussi la possibilité de sortir de leur salle pour accéder à un distributeur qui vend du Coca-Cola et des barres chocolatées. 'Il y a peu de risques qu'ils s'évadent, car ils nous paient pour venir', poursuit Michelle Robinson en faisant visiter les lieux en pleine rénovation.

Elle pense à mettre de la moquette et à changer les meubles, explique-t-elle.

Plus chic encore, la prison municipale de Beverly Hills offre deux vastes cellules individuelles, avec un grand lit, un sofa, une télé. On peut apporter ses draps, ses pantoufles et sa propre nourriture dans la cuisine partagée avec les gardes.

Pas question tout de même de se faire une blanquette de veau. Les détenus ne sont autorisés qu'à réchauffer des plats. Ils n'ont pas non plus le droit d'avoir des appareils électroniques. Cela n'a pas toujours été le cas.

En 2007, George Jaramillo, un ancien shérif adjoint condamné pour détournement de fonds publics, a demandé à purger sa peine dans le centre de Fullerton qui autorisait, à cette époque, ordinateur et téléphone portable. Le procureur a vu rouge. Jaramillo a été incarcéré ailleurs.

'Une cage même confortable reste une cage'

Ces 'prisons pour riches' ne font pas l'unanimité. 'C'est écœurant que les municipalités aient recours à ce genre de pratique. Les conditions de punition et d'incarcération ne devraient pas dépendre de la richesse. Ça va à l'encontre du système de justice égale pour tous', s'insurge Peter Eliasberg, directeur des affaires juridiques à The American Civil Liberties Union. Chiho Hayakawa y est tout aussi hostile.

Sa fille Mai est morte dans un accident de voiture. Michael Keating, le jeune homme qui conduisait, avait bu. Sa famille a déboursé 72 000 dollars pour qu'il purge ses deux ans de peine dans l'aile payante, à Seal Beach, au sud de Los Angeles. 'J'ai été affreusement choquée,' témoigne Chiho Hayakawa dans une interview télé. 'Pour moi, il a obtenu ce traitement de faveur parce qu'il avait de l'argent'. Michael Keating s'est justifié en disant qu'il voulait 'être en sécurité', mais concluait à sa libération : 'Une cage même confortable reste une cage'.

Un individu ne devrait pas être puni doublement en étant incarcéré dans un endroit potentiellement dangereux, rétorquent les défenseurs de ce type de programme. Pour Juan Lopez, 'le système des pay to stay est fantastique : les détenus contribuent à l'entretien de la prison, donc on n'a pas besoin d'équipe de nettoyage, et ils acquittent leur dette envers la société. Pourquoi ne paieraient-ils pas s'ils ont de l'argent ? Où est l'injustice ? Je ne crois pas que leur incarcération devrait se faire aux frais du contribuable.'

Glendale a accueilli 56 164 prisonniers payants depuis 2006 et récolté ainsi 3,5 à 4 millions de revenus.

À Pasadena, en revanche, 'le nombre de détenus a baissé depuis la crise économique', reconnaît Michelle Robinson. En 2014, le programme a généré 40 000 dollars de revenus contre 190 000 en 2004.

Mais les prisons débordent d'idées pour renflouer les caisses. Glendale a lancé les communications payantes par Skype, en Arizona, chaque visiteur doit débourser un droit d'entrée de 25 dollars et en Pennsylvanie, on facture 25 dollars au prisonnier libéré sur parole…

Le Point

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