jeudi 5 mai 2016

Eric Tino, maton démâté

Ce surveillant de prison a dénoncé d’autres gardiens ayant battu un détenu. Mis à l’index par ses collègues, il a dû changer de vie.

Eric Tino, à Bayonne, le 23 mars.

Bouc, cheveu ras, il s’exprime doucement. Eric Tino est un ancien maton. «Je suis tellement en rouge dans toutes les prisons que je ne pourrais jamais plus y exercer», dit-il.

Sa «faute» ? Avoir dénoncé les agissements de deux de ses collègues. On est en 2006 à la prison de Liancourt. Deux gardiens tabassent un détenu. Eric Tino se rend à la gendarmerie. «La procureure m’a dit : "On vous protège si vous témoignez. Si vous ne le faites pas, on vous colle une plainte pour non-assistance à personne en danger."»

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En décembre 2006, ses collègues «frappeurs» passent en comparution immédiate et sont mis à pied un mois. Les autres surveillants font une collecte pour leur venir en aide. Les fautifs sont condamnés à quatre mois de prison avec sursis, et un rapport de la Commission nationale de déontologie et de la sécurité (CNDS) consigne les faits. Le syndicat FO pénitentiaire persiste pourtant à indiquer que le «dossier est vide et monté de toutes pièces». Suite à cette suspension, ils retrouvent leur poste et sont même promus majors.

Le lendemain du témoignage de Tino, un des chefs lance : «Si j’attrape celui qui nous a balancés, ça va chier.» Eric Tino ne cesse de se demander qui a donné son nom. Sur son bureau, il y a un origami avec un pendu. Ambiance.

Un de ses collègues l’appelle pour lui dire : «Fais attention, il va sûrement t’arriver quelque chose.»

Dès lors, il se met en arrêt maladie. Sa femme, qui travaille aussi à la prison, est menacée par un gardien qui essaie de la frapper. Elle se met également en congé. «On est restés cloîtrés, persuadés que ça n’allait pas en rester là.» Il écrit à la garde des Sceaux Dati, pas de réponse. Du côté d’Alliot-Marie, idem. Un député de l’Oise lui conseille de démissionner.

Après cette histoire, Tino commence à écrire pour lui : «Je voulais qu’il y ait une trace s’il m’arrivait quelque chose. A l’époque, j’ai pensé à me flinguer.»

Puis, il s’attelle au livre avec la journaliste Laurence Delleur, qui lui murmure sans cesse de «tenir, tenir». «Quand on a écrit la dernière phrase, c’est comme si je tournais enfin la page. C’est ma thérapie.»

Il n’a pas les moyens de se payer un psy, il préfère à la place appeler ses proches à 3 heures du matin.

Depuis qu’il a fini son manuscrit, il dit avoir retrouvé le sourire. «Tous les jours, je me demandais "est-ce que j’ai bien fait ce jour-là ?"» Il parle d’une vie qui peut «basculer en dix minutes». Il préfère ne pas évoquer ses enfants, ni sa femme : «Elle est toujours là, elle a changé de vie.»

Paranoïaque ? Un surveillant lui a un jour confié qu’il avait «honte» de travailler avec lui, un autre lui a téléphoné en espérant qu’il lui «dédicacerait» son livre, pour en profiter et lui casser la gueule. Il a bénéficié longtemps de la protection d’une voiture de gendarmerie devant chez lui, et même lors de son mariage, en 2007.

A Lannemezan, prison où il est affecté après Liancourt, son pare-brise de voiture vole en éclats.

Pourtant, de ce métier de maton, il dit : «C’est un travail que j’ai appris à aimer.» Il était «fier» d’avoir le drapeau bleu-blanc-rouge sur son uniforme, cette tenue bleue «qui représente la France», cet écusson. «On voit beaucoup de choses, c’est un monde dans un monde, l’école du crime, la détresse des gens, certains mineurs perdus.» «Des relations sexuelles, je n’en ai pas vu», lâche-t-il.

«On voit davantage cela dans les prisons qui ont des douches communes», précise-t-il. Depuis qu’il a quitté la pénitentiaire, en 2009, il multiplie les petits boulots en intérim. Aide-maçon dans le bâtiment, vendeur et livreur en boulangerie, gardien dans la sécurité privée, employé dans une chaîne de grands magasins ou à la Poste.

Si c’était à refaire, il rêverait de travailler dans la criminologie, «branche tueurs en série», ou alors d’intégrer la brigade criminelle. Il y a treize mois, il a postulé pour être surveillant dans un centre d’éducation fermé, mais il a été refusé parce qu’il avait démissionné de la pénitentiaire. Longtemps féru de sports (full-contact, basket, course de côte), il a tout arrêté. Il a souvent fréquenté la banque alimentaire, avoue sauter les repas de midi. «On arrive à tenir, de toute façon, on se force», dit-il, et quand il a un «peu de sous», il mène ses deux enfants au centre de loisirs.

A la télé, il regarde les enquêtes criminelles. Autrement, il lit les ouvrages de Stéphane Bourgoin, ne s’intéresse pas du tout à la politique.

Gardien, il militait à FO. Il en garde des désirs de changement de cette profession qu’il n’exerce plus : améliorer le recrutement, créer une école où la formation serait plus sérieuse, dispenser des enseignements de psychologie, et, surtout, augmenter les effectifs.

«Politiquement, j’étais assez engagé. J’avais une grande gueule, je n’admettais pas le manque d’effectifs, l’absence de caméras, les agressions contre le personnel.» Mais il balance le tout d’un geste : «On dirait que cela n’intéresse pas, ni les gens ni les politiques. Il y a beaucoup de suicides chez les surveillants, cela ne se dit pas.»

Il est entré dans la pénitentiaire après avoir loupé la douane et la police, et parce que le père d’une de ses copines était gardien. Il en convient : «Je n’ai pas eu beaucoup de chance professionnellement, je me suis enfoncé (sic) plutôt qu’autre chose.»

Il raconte avoir côtoyé des «détenus» très bien, même si c’étaient des tueurs. Comme «ce pompier qui avait trouvé sa femme au lit avec quelqu’un et qui a fini par la tuer. Cela peut arriver à tout le monde. Il était très humain». Depuis que cette histoire lui est arrivée, il ne croit plus en Dieu. «S’il y avait vraiment quelqu’un, il y a longtemps qu’il aurait changé les choses.»

Quand il a un moment de libre, il aime bien faire de la pâtisserie. Profiteroles, meringue… «Je suis gourmand et curieux de ce que cela va donner», explique-t-il.

Pour son anniversaire de mariage, sa femme et lui sont allés au bord de la mer, dans ce Sud-Ouest qu’il affectionne. Il ne veut pas dire où il vit, de peur de donner des idées de représailles à ses ex-collègues. Il n’a pas de hobby, joue souvent sur Internet, au jeu vidéo League of Angels.

Question moral, il se dit légèrement plus «endurci» qu’avant.

Idéalement, il aimerait vivre en Bretagne, du côté de Saint-Brieuc. Pourtant, il a reçu des soutiens de surveillants, un «bravo» de la part d’une journaliste qui l’a interviewé. «Ça me conforte dans l’idée que j’ai bien fait.» Pourtant, quand il a démissionné, il a ressenti une double impression. D’abord, un soulagement de ne plus faire partie de l’administration, ensuite, la grosse colère d’être forcé à partir.

- 1976 : naissance;

- Janvier 2003 : concours de la pénitentiaire. Décembre 2006 Comparution en justice des collègues incriminés;

- 27 janvier 2007 : mariage;

- mai 2009 : démission de la pénitentiaire;

- 25 février 2016 : moi, maton j’ai brisé l’omerta (éditions du Moment).

Libération

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