vendredi 2 septembre 2016

Prisons: la France demeure le cancre européen

Avec l’état d’urgence, la France est de nouveau confrontée à un problème aigu de surpopulation carcérale. 


Un nouveau plan d’adaptation est annoncé même si, à ce jour, contrairement à ses voisins, l’Héxagone n’est pas parvenu à mener une politique carcérale cohérente et constante.



Depuis plus de vingt ans, la question de la surpopulation carcérale et des mauvaises conditions de vie dans les prisons est un sujet de préoccupation constant pour les pouvoirs publics français.

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Il y a un mois, en plein cœur de l’été, le premier ministre Manuel Valls, accompagné du Garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas, s’est rendu à la Maison d’arrêt de Nimes – la plus surpeuplée de France – pour annoncer la présentation, à l’automne, d’un nouveau plan d’adaptation du parc pénitentiaire alors que le taux d’occupation actuel des prisons fait apparaître le déficit de place le plus catastrophique depuis 1990.

Pourquoi la France, à la différence de ses voisins, ne parvient-elle pas à résoudre cette question ? On ne peux pas dire que rien n’a été fait ces dernières décennies. Depuis 1990, le nombre de places dans les prisons a augmenté de 60%, le nombre de prisonniers sous surveillance électronique est passé en 10 ans de 1000 à 10.000, de nombreuses peines courtes ont été aménagées…

Mais, depuis 25 ans, le nombre de prisonniers écroués s’est accru de 24.000. Résultat, le taux d‘occupation qui était de 124% en 1990 – soit 24% de population carcérale en excès des places disponibles – est revenu à 104 en 2000 pour repartir ensuite à la hausse: 108 en 2010 et 114 au 1er janvier 2016.

Et, depuis six mois, sous l’effet de l’état d’urgence, le nombre de prisonniers explose, passant de 66.700 en janvier à 69.400 en juillet, soit une hausse de 4%. Du coup, le taux d’occupation remonte à 119. On est pratiquement revenu au niveau de 1990 !

Ailleurs en Europe, la situation s’améliore

Nous ne disposons pas des chiffres des tout derniers mois pour les pays européens. Mais, à partir des chiffres établis chaque année par le Conseil de l’Europe, on constate que la tendance chez nos voisins est inverse.

Si l’on prend les dix premiers pays d’Europe occidentale, seul le Portugal connait une dégradation marquée depuis 2010 et affiche, début 2016, un taux d’occupation de 137, encore plus catastrophique que celui de la France.

Partout ailleurs, la situation s’est améliorée en six ans et parfois de façon spectaculaire comme en Italie, où le taux a été ramené de 153 à 108. C’est la conséquence d’une politique pénale de substitution à la prison, le nombre de condamnés écroués dans la Péninsule ayant diminué de 15.000.

A ce jour, seuls 4 pays sont encore en surpopulation, dans l’ordre : le Portugal, la France, la Belgique et l’Italie. Le taux d’occupation des prisons est même descendu entre 80 et 85% en Allemagne, en Espagne, en Suède ou aux Pays-Bas. Ce dernier pays va même jusqu’à louer certaines de ses prisons à la Belgique voisine !

Des moyens de répression alternatifs

Cela ne signifie pas forcément que ces pays sont moins répressifs. En considérant le taux d’incarcération par rapport à la population, on constate, en 2015 et pour 100.000 habitants, que ce taux est très élevé en Angleterre et Pays de Galles (148) et en Espagne (143). Il est en revanche réduit en Allemagne (76), aux Pays-Bas (60) et surtout en Suède (55).

A cet égard, la France apparait comme un pays moyennement répressif avec un taux de 100. Attention, degré de repressivité n’est pas synomyme de laxisme. Un nombre réduit de personnes incarcérées signifie que les peines alternatives à l’emprisonnement ont été multipliées et, notamment, ce que l’on appelle la détention “ouverte”, les peines s’effectuant sur des lieux de travail non gardés. Ce système a été particulièrement développé au Danemark.

Détention ouverte et taux d’évasion

Moins de gens enfermés et moins longtemps, c’est toujours un bon résultat. Les comparaisons internationales en matière de taux de récidive sont assez delicates à établir mais une étude américaine fait apparaître que le taux de nouvelles condamnations après un séjour de deux ans en prison n’est que de 29% au Danemark contre 48% en Allemagne et 59% en France et en Angleterre.

Le système danois de détention ouverte présente toutefois un inconvénient manifeste: le taux moyen d’évasion entre 2007 et 2013 y est le plus élevé d’Europe avec 35 évasions pour 10.000 prisonniers. En France, ce taux n’est que de 6,8.

Trois pays ont des prisons particulièrement “étanches”. Il s’agit de l’Allemagne, avec un taux d’évasion de 1,4 pour 10.000 et, ce qui est plus inattendu, l’Espagne et l’Italie avec des taux de 1,5 et 1,6. Outre le Danemark, le taux d’évasion est assez élevé en Belgique et au Portugal (autour de 17%).

Les prisonniers se suicident plus en France

Quant aux conditions de vie en prison et la situation morale et psychologique des prisonniers, on peut s’en faire une idée en considérant le taux de suicide pour 10.000 détenus calculé par le Conseil de l’Europe.

Dans ce domaine, la France est le pire pays d’Europe occidentale avec un taux moyen de 15 sur la période 2007-2013. Plusieurs pays sont autour de 8, notamment l’Allemagne, l’Angleterre, l’Italie tandis que l’Espagne fait mieux que tout le monde avec un taux de suicide de seulement 4%.

Un résultat un peu paradoxal et qui tient sans doute à des facteurs culturels puisque l’Espagne est un pays où la durée moyenne d’emprisonnement est élevée, plus de 16 mois. C’est plus qu’en France où cette durée n’est que de dix mois et demi et c’est sans commune mesure avec les deux à trois mois d’emprisonnement moyen en Scandinavie ou aux Pays-Bas.

Moyens insuffisants, politiques incohérentes

Finalement, comment expliquer les très mauvais résultats de la politique pénitentiaire française ? Longtemps, ce fut le manque de moyens budgétaires dévolus au monde carcéral. Depuis quelques années cependant, la France a fait des efforts indéniables.

Mais, avec à peine plus de 100 € dépensés par jour et par détenu, les dépenses carcérales françaises restent inférieures aux dépenses en Angleterre (109 €), en Allemagne (112 €), en Italie (130 €) et surtout au Danemark (180 €) et, par dessus tout, en Suède, où ces dépenses atteignent 356 € !

Mais, au delà des investissements, la raison de fonds de l’inefficacité de la politique carcérale française tient au manque de cohérence des politiques menées par les majorités successives au pouvoir.

La présidence de Nicolas Sarkozy fut caractérisée par un durcissement de la répression. Les trois premières années de la présidence Hollande, sous l’égide de sa ministre de la justice Christiane Taubira, par une volonté de développer les peines de substitution.

Depuis l’an dernier en revanche, les attentats terroristes et l’instauration de l’état d’urgence marquent une hausse sans précédent du nombre de personnes écrouées. Tout cela dans un contexte de débat permanent sur la nécessité ou non de construire de nouvelles prisons. Ce cocktail de revirements et d’atermoiements est délétère pour le rétablissement du bon fonctionnement de notre système pénitentiaire.

Myeurop

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