mercredi 6 avril 2016

113 morts l’an dernier: qui se suicide en prison ?

Ils se sont pendus dans leurs cellules mardi: un ex-directeur d’école, soupçonné d’avoir violé ses élèves, et une femme, poursuivie pour le meurtre d’un policier.

113 personnes se sont suicidées en prison
 
Sept fois plus fréquent en prisonEn France, le suicide est sept fois plus fréquent en prison qu’en milieu libre. Plus de neuf détenus sur dix sont des hommes. Le taux s’élève à 18,5 suicides enregistrés pour 10 000 personnes écrouées sur la période 2005-2010 alors que dans la population générale, il est de 2,7 pour 10 000 chez les hommes de 15 à 59 ans.

Depuis la mise en place d’un plan anti-suicide il y a six ans, le nombre de décès a baissé, après le triste « record » de 1998 (138 suicides): 113 cas en 2015, 94 en 2014, 97 en 2013, 123 en 2012.

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Pendus dans leurs cellulesUn homme et une femme ont mis fin à leurs jours, mardi.

Dans sa cellule de la maison d’arrêt de Lyon-Corbas, un enseignant de 46 ans s’est pendu. Cet ex-directeur de l’école de Villefontaine (Isère) était écroué, depuis un an, soupçonné d’avoir violé ou agressé sexuellement une soixantaine d’élèves. Ce détenu, qui avait déjà fait une tentative de suicide, était particulièrement surveillé. L’homme était au cœur d’un retentissant scandale de pédophilie qui a mis au jour des dysfonctionnements entre les ministères de la Justice et de l’Education nationale. En 2008, l’enseignant avait été condamné pour détention d’images pédopornographiques. La sanction ne s’accompagnait pas d’une interdiction d’entrer en contact avec des enfants, et la condamnation n’avait pas été signalée à son administration de tutelle. Mardi, des parents étaient furieux: « Il ne sera jamais jugé ! On nous prive d’un procès. »

Mardi également, à la maison d’arrêt de Sequedin (Nord), une quadragénaire s’est pendue dans sa cellule du quartier disciplinaire, où elle était seule. « Impliquée dans le meurtre d’un policier, elle était écrouée depuis quelques mois, en attente d’instruction », ont précisé les autorités pénitentiaires.

La détention provisoire, à hauts risquesUne personne mise en examen, bien que présumée innocente, peut être placée en détention provisoire, en raison des nécessités de l’enquête ou comme mesure de sûreté. Brutalement, des hommes et des femmes sont confrontées au choc de l’incarcération et à l’incertitude sur leur sort judiciaire. Se retrouver soudain « derrière les barreaux », pour la première fois de sa vie, est une expérience bouleversante.

« En détention provisoire, environ 34 suicides pour 10 000 prévenus sont enregistrés contre près de 13 parmi les personnes condamnées », constate l’Ined (Institut national d’études démographiques).

Plus les faits sont graves...« Le taux de suicide est plus élevé parmi les personnes écrouées à la suite d’un meurtre (48 pour 10 000), d’un viol (27 pour 10 000) ou d’une autre agression sexuelle (24 pour 10 000) », souligne l’Ined. Outre la lourdeur de la peine encourue ou prononcée, d’autres éléments contribuent à expliquer ce risque accru : l’infraction elle-même, le remords ou le sentiment d’injustice.

Pèse aussi, fortement, le regard désapprobateur ou haineux des autres détenus. Mardi, par exemple, l’avocat de l’ex-directeur d’école de Villefontaine rappelait que son client a encaissé « les quolibets, les insultes et menaces » proférés par des prisonniers.

Surpopulation et isolementBien des détenus subissent une promiscuité insupportable, entassés dans des espaces exigus, parfois insalubres. « Le surpeuplement des prisons entraîne une forte dégradation des conditions de vie des détenus. Mais le lien avec le risque de suicide apparaît complexe. Au niveau individuel, la présence d’un codétenu peut réduire le sentiment d’isolement ou, tout simplement, rendre matériellement plus difficile un passage à l’acte », remarque l’Ined.

Très souvent, les liens familiaux, amicaux et sociaux se distendent, se rompent. Pas de courriers, pas de visites au parloir; des activités culturelles insuffisantes; pas ou peu de travail à effectuer... Des femmes et des hommes sont livrés à eux-mêmes, désoeuvrés, vacants.

Prévention: des exigences parfois contradictoiresLe psychiatre Michel David, président de l'Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire, résume très bien la problèmatique. En matière de prévention du suicide, « tout le monde est un peu démuni, écartelé entre les exigences du droit, de la sécurité et de la santé ». Il donne un exemple: « Réveiller un détenu toutes les deux heures la nuit pour vérifier qu'il est vivant, ça n'arrange pas son état psychique »

L’Administration pénitentiaire s’est dotée d’un plan de prévention, depuis six ans. Il comprend vingt mesures, de la formation des personnels à l’évaluation du potentiel suicidaire des détenus, ou de la protection pour les personnes en crise (cellules de protection d'urgence, couverture et vêtements déchirables) à la lutte contre le sentiment d’isolement. Depuis 2010, une expérimentation de codétenus de soutien placés auprès de personnes en dépression est mise en oeuvre.

Sous l’œil des camérasDes détenus en grande détresse psychique pourront même être contrôlés par vidéosurveillance. « Cela nous permettra d’être plus réactif en cas de crise », explique, dans La Croix, Julien Morel d’Arleux, à la sous-Direction des personnes sous main de justice. Mais, s’alarme François Bès, coordinateur de l’Observatoire national des prisons, « en filmant des détenus en détresse, on ne traite qu’en surface le fléau du suicide: on ne fait, au fond, que les contraindre à ne pas mourir ».

Ouest-france

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