lundi 10 mars 2014

Qui se souvient de Maurice Gateaux, plus vieux détenu de France ?

Il y en a un au moins qui respecte toujours avec ferveur la mémoire du Général, même s'il n'a pas vraiment réalisé qu'il n'était plus de ce monde : Maurice Gateaux, le plus vieux détenu de France, incarcéré depuis probablement cinquante-cinq ans – tout le monde a un peu perdu le compte, lui le premier, il n'a plus toute sa tête.
 
Une prison (photo d'illustration)
 
Il a d'ailleurs failli la perdre en 1968, à l'époque où la peine de mort n'était pas encore un souvenir, pour avoir tué un surveillant à coups de ciseaux. Depuis, il mène sa petite vie au centre pénitentiaire de Château-Thierry, dans l'Aisne.
Maurice Gateaux avait 30 ans lors de sa condamnation en 1968, il en a 77 aujourd'hui. Il a vu le jour en Picardie, à Longchamps, dans l'Aisne, dans une commune qui a elle-même disparu : elle a été absorbée en 1970 par Vadencourt (630 habitants). Il était le sixième enfant d'un premier mariage, sa mère a encore eu dix autres petits. La naissance s'est mal passée, et les journalistes notent à son procès qu'il a failli mourir asphyxié et que l'épisode a entraîné « un retard dans sa croissance physique ». Il l'a rattrapé : aux assises, c'est un homme « de taille moyenne mais aux larges épaules, écrit Le Monde le 2 février 1968, ce qui lui a valu le surnom de King Kong  la centrale ».

« DÉBILITÉ PROFONDE »

Le petit Maurice fréquente distraitement l'école communale jusqu'à l'âge de 14 ans, devient ouvrier agricole, puis manoeuvre, et fait en passant plusieurs cures de désintoxication. Il est envoyé en 1956 en Algérie pour son service militaire, où il est incarcéré pour avoir frappé à mort un Algérien. Il n'a pas laissé à l'armée un souvenir aimable, on le présente, note Le Monde, « comme un solitaire, un être renfermé, querelleur, méchant, violent, impulsif ». Il est finalement réformé pour « débilité profonde ».

De retour en France, Maurice Gateaux est condamné en 1959, puis en 1960, pour « vol, coups et blessures », puis en 1966 à vingt ans de réclusion pour « coups mortels et vol qualifié » commis deux ans plus tôt. Est-il alors incarcéré depuis 1959 ou avril 1965, comme l'indique sa fiche de l'administration ? La réponse s'est perdue dans les archives de la pénitentiaire. En tout cas, le condamné est transféré en août 1968 à la centrale de Nîmes avec 600 autres détenus. Il travaille dans l'atelier tailleur de la prison où 92 détenus, tous munis de ciseaux, sont gardés par deux surveillants armés d'un sifflet.

Le 16 mai 1967, Maurice Gateaux s'attarde dans l'atelier à aiguiser ses ciseaux. L'un des surveillants, Marius Albe, lui dit de regagner sa place. Le détenu le prend mal, l'entraîne dans « le magasin des pantalons » et lui donne quatre coups de ciseaux, à l'arcade sourcilière, au cou, à la narine et à la poitrine. Le gardien ne perd pas son sang-froid, et annonce « regagnez vos places, il ne me fait pas peur, il ira au quartier » ; il a le temps d'ajouter « il est fou » avant de mourir. « Ah je suis fou !, aurait dit le détenu, alors je vais tout casser ! » Il blesse encore légèrement un surveillant à la main avant d'être maîtrisé.

MAURICE A PEU À PEU PERDU LE FIL

Le journaliste du Monde à la cour d'assises du Gard n'a pas versé dans le compassionnel : Maurice Gateaux est « l'image de l'absence et du refus. Il suffit qu'il parle pour qu'apparaisse l'homme qu'il est : un être frustre. Il lit avec difficulté et sait à peine écrire. Et mercredi, on a pu le constater, il ne sait pas s'exprimer ». L'article est publié au milieu d'autres nouvelles non moins sensationnelles, « un éleveur de lapins victimes de tirs de mines obtient réparation de l'EDF ».

Maurice Gateaux a été condamné le 2 février 1968, après un rapide délibéré de quarante-cinq minutes, à la réclusion criminelle à perpétuité, mais échappe à la guillotine en raison de circonstances atténuantes : son avocat l'avait gentiment signalé : « Gateaux est un débile. Il suffit de le voir et l'entendre. » De centrale en centrale, Maurice s'est fait oublier, pendant plus de cinquante ans. Son avocat, Louis Lacroix, président en 1963 de la course à la cocarde à Nîmes, est devenu président fondateur de la Fédération française de course camarguaise en 1975, mais il est mort « depuis longtemps ».

Maurice a peu à peu perdu le fil. Il sort peu en promenade, n'a guère de visites, ne participe pas aux ateliers. Le vieux monsieur est encore alerte, porte des jeans et une casquette, mais il a des difficultés à se situer dans le temps, qui a eu tendance à s'arrêter avant son incarcération. Le moment qu'il préfère, c'est quand l'intervenant qui fait de la médiation animale vient le voir en cellule, avec son chien. Il aime beaucoup le chien.
Le Monde

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