"Ce dossier, c'est une vraie patate chaude". Me Fabien Arakelian convient lui-même que la décision de la cour d'appel de Paris soulève des questions explosives en prison.
Dire ce jeudi si les détenus sont des salariés comme les autres et ont à ce titre les mêmes droits, une décision lourde de conséquences.
Durant huit mois, entre août 2010 et avril 2011, cette femme en détention provisoire (elle a depuis été condamnée pour la mort de son mari) a travaillé comme télé-opératrice pour un centre d'appel. Cette collaboration qui se déroulait dans une salle aménagée de la prison pour femmes de Versailles s'est brutalement achevée après qu'elle a passé un coup de téléphone à sa sœur pendant son temps de travail. Une faute qu'elle ne conteste pas.
Elle a en revanche attaqué la société MKT Societal devant le tribunal des prud’hommes pour dénoncer les conditions dans lesquelles elle travaillait, et notamment le salaire qu'elle percevait. Elle a alors obtenu gain de cause, un fait inédit qui, s'il était confirmé par la cour d'appel appellerait une véritable révolution dans les prisons. Car travailler alors qu'on est incarcéré n'a rien d'exceptionnel: on estime à un peu plus de 20.000, soit environ un tiers de la population carcérale (68.420), le nombre de détenus qui ont une activité professionnelle, soit parce qu'ils y sont obligés en vue de leur réinsertion, soit par besoin de "cantiner", autrement dit d'améliorer leur quotidien.
En théorie, le salaire -un pourcentage du smic fixé par décret et qui peut atteindre 70%- varie entre 4 et 6 euros brut de l'heure, selon les travaux effectués. Le détenu récupère ensuite 80% de la somme, 10% étant conservés pour le moment de sa sortie et 10% servant à indemniser les parties civiles du procès. Mais en pratique, tout ne se passe pas toujours comme prévu. "Il est regrettable de constater que les règles concernant le calcul du salaire, la durée de travail ou l’insertion par l’activité économique ne sont pas correctement appliquées", pointe ainsi le contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son rapport 2013 publié mi-mars.
Dans le cas présent, Marilyn Moreau était payée entre 1,50 et 2 euros de l'heure. "On vient nous parler de réinsertion mais qui peut croire ça quand on ne touche même pas 150 euros pour 60 heures de travail. C'est très clairement de l'exploitation. Ce qu'on propose aux détenus est inacceptable", s'insurge Fabien Arakelian. "Nos revendications sont claires : le recours vise à reconnaître qu'il y a un contrat de travail et qu'il faut en tirer toutes les conséquences en matière de rémunération. Le débat est là, pas ailleurs", ajoute-t-il.
Or en juin dernier, interrogé lors d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le conseil constitutionnel a estimé que l'absence de contrat de travail n'avait rien de contraire au droit français. "Les normes internationales ont une valeur supérieure, on n'a donc rien à faire de la décision du conseil constitutionnel", précise l'avocat.
La cour d'appel a donc deux options: suivre le conseil des prudhommes et provoquer une révolution dans le monde carcéral ou casser le jugement. "Dans ce cas, on irait immédiatement en cassation. D'ailleurs, je ne serais pas surpris que la cour décide cela car il faut être sacrément courageux pour aller dans le sens du conseil des prud'hommes", prévient le conseil de Marilyn Moureau.
"Je ne peux pas croire que le pouvoir ne respecte pas une décision de justice, il faudra une réforme législative", ajoute Fabien Arakelian. Il n'est cependant pas question, pour lui, de faire des détenus des travailleurs comme les autres. "Il n'est pas question de transposer en prison le droit du travail dans son intégralité. Je ne suis pas stupide au point de revendiquer des délégués syndicaux pour les détenus mais on pourrait se dire que s'ils travaillaient dans des conditions décentes avec des revenus décents, cela faciliterait leur réinsertion et leur permettrait de mieux indemniser les parties civiles. Ce serait gagnant-gagnant", veut-il croire.
Mais les entreprises qui emploient des détenus ne voient pas une telle évolution avec le même oeil: "Si demain, vous imposez à une société de gérer un salarié détenu comme un salarié ordinaire, vous n'allez plus avoir beaucoup d'entreprises qui vont venir", avait dit à l'audience l'avocat qui représentait les employeurs.
Après la décision du conseil constitutionnel, Christiane Taubira avait souligné que "l'acte d'engagement qui lie l’administration pénitentiaire à la personne détenue pour déterminer les conditions de son activité a marqué un progrès considérable dans la reconnaissance des droits des détenus". La Garde des sceaux pensait alors que cela suffirait. Ce n'est pourtant pas une certitude.
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Que dit le droit aujourd'hui?Les relations de travail entre les détenus, l'administration pénitentiaire et les entreprises qui les emploient sont aujourd'hui régies par l'article 717-3 du code de procédure pénale. Il expose que "les relations de travail d'une personne incarcérée ne font pas l'objet d'un contrat de travail". En pratique, le chef d'établissement et la personne détenue signent un "acte d'engagement" qui doit prévoir description du poste, horaires et missions à réaliser, mais il ne peut être assimilé à un contrat de travail et n'offre donc pas les garanties qui vont avec.
En théorie, le salaire -un pourcentage du smic fixé par décret et qui peut atteindre 70%- varie entre 4 et 6 euros brut de l'heure, selon les travaux effectués. Le détenu récupère ensuite 80% de la somme, 10% étant conservés pour le moment de sa sortie et 10% servant à indemniser les parties civiles du procès. Mais en pratique, tout ne se passe pas toujours comme prévu. "Il est regrettable de constater que les règles concernant le calcul du salaire, la durée de travail ou l’insertion par l’activité économique ne sont pas correctement appliquées", pointe ainsi le contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son rapport 2013 publié mi-mars.
Dans le cas présent, Marilyn Moreau était payée entre 1,50 et 2 euros de l'heure. "On vient nous parler de réinsertion mais qui peut croire ça quand on ne touche même pas 150 euros pour 60 heures de travail. C'est très clairement de l'exploitation. Ce qu'on propose aux détenus est inacceptable", s'insurge Fabien Arakelian. "Nos revendications sont claires : le recours vise à reconnaître qu'il y a un contrat de travail et qu'il faut en tirer toutes les conséquences en matière de rémunération. Le débat est là, pas ailleurs", ajoute-t-il.
Pourquoi n'est-ce pas si simple?En février 2013, le tribunal des prud'hommes a donné raison à la plaignante, considérant que le lien qui la liait à la société MKT Societal était un contrat de travail. Le juge, qui avait ordonné 6500 euros de dommages et intérêts, avait suivi l'argumentaire de l'avocat de Marilyn Moreau. Selon lui, le code de procédure pénale viole plusieurs textes internationaux. "Nous avons mis en avant la convention de l'organisation internationale du travail (OIT) sur le travail forcé et la convention européenne des droits de l'homme", explique Me Arakelian.
Or en juin dernier, interrogé lors d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le conseil constitutionnel a estimé que l'absence de contrat de travail n'avait rien de contraire au droit français. "Les normes internationales ont une valeur supérieure, on n'a donc rien à faire de la décision du conseil constitutionnel", précise l'avocat.
La cour d'appel a donc deux options: suivre le conseil des prudhommes et provoquer une révolution dans le monde carcéral ou casser le jugement. "Dans ce cas, on irait immédiatement en cassation. D'ailleurs, je ne serais pas surpris que la cour décide cela car il faut être sacrément courageux pour aller dans le sens du conseil des prud'hommes", prévient le conseil de Marilyn Moureau.
Quelles seront les conséquences de la décision?De longue date, le contrôleur général des lieux de privation de liberté plaide pour une nouvelle loi qui régisse mieux les relations de travail en prison. "Certes, les spécificités de l’incarcération imposent des aménagements à l’application du droit commun. Cependant, les exceptions aux règles communes du travail doivent être motivées exclusivement par le maintien de la finalité des établissements pénitentiaires", estime-t-il dans son rapport annuel.
"Je ne peux pas croire que le pouvoir ne respecte pas une décision de justice, il faudra une réforme législative", ajoute Fabien Arakelian. Il n'est cependant pas question, pour lui, de faire des détenus des travailleurs comme les autres. "Il n'est pas question de transposer en prison le droit du travail dans son intégralité. Je ne suis pas stupide au point de revendiquer des délégués syndicaux pour les détenus mais on pourrait se dire que s'ils travaillaient dans des conditions décentes avec des revenus décents, cela faciliterait leur réinsertion et leur permettrait de mieux indemniser les parties civiles. Ce serait gagnant-gagnant", veut-il croire.
Mais les entreprises qui emploient des détenus ne voient pas une telle évolution avec le même oeil: "Si demain, vous imposez à une société de gérer un salarié détenu comme un salarié ordinaire, vous n'allez plus avoir beaucoup d'entreprises qui vont venir", avait dit à l'audience l'avocat qui représentait les employeurs.
Après la décision du conseil constitutionnel, Christiane Taubira avait souligné que "l'acte d'engagement qui lie l’administration pénitentiaire à la personne détenue pour déterminer les conditions de son activité a marqué un progrès considérable dans la reconnaissance des droits des détenus". La Garde des sceaux pensait alors que cela suffirait. Ce n'est pourtant pas une certitude.
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