mercredi 2 avril 2014

L'avenir incertain de la réforme pénale de Christiane Taubira

Le projet de loi relatif à la prévention de la récidive devait être examiné en commission des Lois mercredi. La séance est annulée.
 
L'examen devant l'Assemblée nationale de la réforme pénale de Christiane Taubira a été repoussé.
L'examen devant l'Assemblée nationale de la réforme pénale de Christiane Taubira a été repoussé
 
La réforme pénale se voulait un remède à la tragédie carcérale. Elle ne sera peut-être qu'un placebo. Après un arbitrage difficile l'été dernier entre Manuel Valls et Christiane Taubira, un projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l'individualisation des peines était arrivé sur la table du conseil des ministres en septembre 2013. Trop polémique, trop dangereux, avant l'échéance électorale de mars, son examen devant l'Assemblée nationale avait été renvoyé en avril. Mercredi, l'examen du texte en commission des Lois vient d'être annulé et un décalage du calendrier parlementaire semble fort possible.
L'annonce, évidemment, réjouit la droite. Elle qui, sous l'impulsion de messieurs Ciotti, Gosselin et Decool, avait déposé un amendement sous chacun des articles de la réforme pénale pour en obtenir la suppression. "Un texte laxiste", répètent-ils à l'envi. Mardi après-midi, l'UMP s'est également fendue d'un communiqué réclamant purement et simplement le retrait du projet de loi Taubira.
À gauche aussi, on entend des critiques. Jean-Christophe Cambadélis a, à plusieurs reprises, affirmé qu'il fallait marquer une pause sur les réformes sociétales et apporter plus de justice sociale dans les réformes économiques. Carlos Da Silva, député PS proche du tout fraîchement nommé Premier ministre Manuel Valls, déclarait lundi soir : "Il faut remettre les réformes en cours sur le métier, repenser, réexpliciter." Le désaveu est cinglant pour la flamboyante ministre de la Justice.

Se limiter aux mesures acceptables par l'opinion publique

Manuel Valls lui-même, alors qu'il occupait la Place Beauvau, ne s'était pas privé de manifester publiquement son désaccord. "La quasi-totalité des dispositions de ce texte a fait l'objet de discussions, voire d'oppositions du ministère de l'Intérieur. [...] L'écart entre nos analyses demeure trop important et appelle une clarification de nos orientations politiques", avait-il écrit dans une lettre adressée à François Hollande le 25 juillet 2013, rendue publique par Le Monde. À l'issue de cet arbitrage élyséen, la réforme pénale avait déjà subi de grands coups de burin. Et de nombreuses propositions, issues de la conférence de consensus qui avait réuni pendant deux jours des experts du monde judiciaire de tous bords, n'avaient pas été reprises.
C'est ainsi que Cécile Marcel, directrice de la section française de l'Observatoire international des prisons (OIP), écrit dans la revue Dedans Dehors : "Le discours s'est brouillé. À vouloir répondre sans cesse aux attaques indues de laxisme, en se laissant piéger par l'illusion selon laquelle procéder à plus d'emprisonnements et de contrôles serait gage de fermeté, le président a fait le choix des concessions." Et la responsable de l'OIP d'ajouter : "Au lieu de défendre une vision, il a entrepris de décortiquer chaque mesure à l'aune de ce qui serait soi-disant acceptable par l'opinion publique." Même si, cela aussi, François Hollande n'a pas su le faire : la réforme pénale de Christiane Taubira reste largement incomprise. L'opposition s'est ruée dans la brèche pour instrumentaliser le texte et faire le maximum d'intox.

La réforme pénale, un projet de loi incompris

La mesure-phare du projet de loi Taubira, la contrainte pénale, est une peine alternative en milieu ouvert pour les personnes coupables d'un délit puni jusqu'à cinq ans d'emprisonnement. Les socialistes offrent l'impunité aux délinquants, a aussitôt accusé l'UMP. Comme s'il n'y avait, dans notre droit, qu'une seule manière de punir ceux qui transgressent la loi : la prison. Le Parti socialiste n'a pas réussi à faire comprendre aux Français que la peine en milieu ouvert était une peine en elle-même. Si les barreaux d'une cellule envoient sans conteste un message répressif aux délinquants, ils ne préparent en rien leur réinsertion dans la société. Ce faisant, les détenus sont souvent plus dangereux lorsqu'ils sortent de prison que lorsqu'ils y sont entrés.
Pour que la prison soit efficace, encore faut-il que les peines soient exécutées. En France, fin 2012, 99 600 peines d'emprisonnement étaient en attente d'exécution. Quel message envoie-t-on là aux délinquants ? Certainement pas celui de la fermeté. Et fort heureusement, les prisons ne regorgent pas que de criminels et de violeurs. Selon les derniers chiffres du ministère de la Justice, 78 % des peines d'emprisonnement ferme prononcées pour des délits sont des peines inférieures à un an. Parmi ces gens condamnés, tous ne sont donc pas "irrécupérables". La magistrate Françoise Tulkens, qui avait présidé la conférence de consensus, enfonce le clou : "La société ne fait pas exemple en traitant [les prisonniers, NDLR] de cette manière. Au contraire, elle montre la violence institutionnelle."

Des matelas à même le sol

Reste un constat atterrant. Les prisons sont pleines à craquer : 68 420 personnes étaient détenues au 1er mars 2014 et des prisonniers, 1 104 exactement, dorment sur un matelas posé à même le sol. La surpopulation carcérale augmente chaque année sans que rien paraisse pouvoir l'endiguer. Les conditions de vie que cela engendre, avec son lot de crasse, de vétusté et de violence, sont pointées chaque année dans un rapport annuel du contrôleur général des prisons.
Pour y remédier, la droite aurait clairement fait le choix de construire plus de places de prison. La mesure est dissuasive, mais coûteuse. La gauche a fait le pari de la peine en milieu ouvert, mais ne s'est pas, pour l'instant, donné les moyens d'arriver à ses fins. André Vallini, ancien Monsieur Justice de François Hollande, écrivait dans une tribune publiée en novembre 2013 dans Le Monde : "Quant à la création d'une peine de probation sur le modèle canadien, elle nécessite, pour être efficace, des moyens considérables que le budget de l'État est incapable de fournir à court terme." Les dizaines de postes créés par Christiane Taubira dans les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), pour assurer la bonne tenue de sa réforme, ne suffiront d'évidence pas. La garde des Sceaux avait demandé des crédits, elle a obtenu des miettes. Désormais, nul ne sait ce qu'il adviendra de son vaste projet.

Le Point

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