mercredi 16 septembre 2015

La Santé : les déboires d'une ancienne prison modèle

La maison d'arrêt, construite entre 1861 et 1867 en plein cœur de Paris, fait l'objet d'une rénovation complète. Un ouvrage revient sur son histoire.
 
La prison de la Santé juste avant sa fermeture pour travaux en juillet 2014.
  
C'est dans sa cour que furent exécutés, en 1972, les deux derniers condamnés à mort français : Roger Bontems et Claude Buffet. Dans ses murs que furent incarcérées des personnalités aussi diverses que Guillaume Apollinaire, Marcel Petiot, Jean Genet, Jacques Mesrine ou encore Jérôme Kerviel.

La prison de la Santé, qui fêtera, dans deux ans, ses 150 ans, connaît actuellement un important chantier de rénovation. Un ouvrage signé par le sociologue Michel Fize revient sur l'histoire de ce lieu aussi emblématique que le centre des Baumettes à Marseille.

Son livre fait écho à celui, publié en 2000, par Véronique Vasseur. Cet ancien médecin-chef de l'établissement, de 1993 à 2000, avait vigoureusement dénoncé la surpopulation de cette prison. Elle avait dépeint les conditions terribles dans lesquelles s'entassaient 1 200 détenus : la vétusté et l'insalubrité des cellules, la crasse et le délabrement de l'infirmerie comme de l'ensemble des installations sanitaires. Ce témoignage-choc devait d'ailleurs permettre d'accélérer le plan de modernisation de la Santé (dont on parlait depuis 1968 !). Remontant à sa mise en service et revenant sur sa longue histoire, Michel Fize rappelle, au contraire, que la Santé fut longtemps considérée comme une prison modèle.

À la pointe de la technologie

En 1867, la maison d'arrêt parisienne tranche, de fait, avec les prisons encore en activité au moment de son ouverture. Contrairement aux autres pénitenciers de l'époque, souvent d'anciens monastères hâtivement transformés en lieu de détention, elle est dotée, dès l'origine, d'équipements ultramodernes. Elle dispose ainsi du tout-à-l'égout et de l'eau courante (là où les Parisiens devaient encore aller à la fontaine publique), d'un système de communication par pneumatique, pour les gardiens, mais aussi de nombreuses cellules individuelles.

Son architecte, Joseph Vaudremer, ancien Grand Prix de Rome, plus connu pour ses églises et ses lycées que pour ses prisons (la Santé sera sa seule réalisation pour l'administration pénitentiaire), s'est inspiré des bagnes américains de la côte est des États-Unis.

Est-ce à cause de la proximité des hôpitaux Cochin et Sainte-Anne (qui justifie d'ailleurs le nom de son adresse : rue de la Santé) ? Lors de son inauguration, cette prison est présentée comme une « machine à guérir » les délinquants. Les détenus doivent en sortir non seulement rédimés aux yeux de la société mais surtout « corrigés » de leurs mauvais penchants. Le propos ferait presque sourire aujourd'hui tant l'image de l'établissement s'est érodée au fil des années.

Surpeuplée dès 1913

Malgré sa taille, 24 000 mètres carrés, la Santé est, de fait, très vite surpeuplée. À la veille de la Première Guerre mondiale, elle compte plus de 1 600 détenus pour 500 cellules. Dans les années 20, cloisonnées (et donc divisées en deux), ses 1 000 geôles comptent plus de 2 000 prisonniers.

Face à ces effectifs pléthoriques, le nombre de gardiens plafonne, lui, autour de 70 surveillants. Ils sont à la peine face à la population incarcérée, « composée en grande majorité de jeunes, issus de la classe laborieuse, ne travaillant pas, ne se laissant pas intimider par quelques mois de prison, inaccessibles aux idées de moralisation, d'amendement, de repentir ou de relèvement quelconque et, pour toutes ces raisons, récidivistes », relève un rapport de 1909.

FRANCE-PRISON-LA SANTE-STAIRCASE © PIERRE-FRANCK COLOMBIER AFP

Le manque d'entretien du bâtiment marque le début de son irréversible déclin. Il faut dire que l'administration de l'époque mégote sur le moindre investissement. Une enquête du Matin, en août 1913, révèle que la direction de la prison rechigne à effectuer les travaux, pourtant financés par le ministère, et se paye ainsi le luxe d'afficher un résultat comptable… bénéficiaire. Dès les années 30, les prisonniers sont plus de 3 000. Ils dépasseront les 6 000 début 1946. On improvise alors des dortoirs dans certains couloirs. Et la promiscuité devient dramatique.

Les promenades et les ateliers au cours desquels s'effectue le brassage des prisonniers provoquent des rencontres improbables. Se mêlent ainsi des détenus politiques (les membres de la Cagoule, faction d'extrême droite, y côtoient des anarchistes gauchistes), de simples prévenus et des « droits communs » de tous âges et de tous pedigrees. Ce mélange de population contribue à faire de la Santé une « école du crime » où les plus aguerris des détenus forment les petits nouveaux.

La chute

En 1960, l'état de décrépitude de la Santé est tel que sa démolition est envisagée. D'autant que son emplacement, dans le très chic 14e arrondissement de Paris, est lorgné par les promoteurs. La construction du plus grand centre pénitentiaire d'Europe à Fleury-Mérogis (Essonne) semble préfigurer son transfert en banlieue. Le ministère de l'Éducation nationale fait une offre de rachat du terrain au garde des Sceaux pour y faire construire une université en 1968. Le projet, dessiné par l'architecte Jean Vaugeron, a la forme d'une tour pyramidale de 180 mètres de haut. Le ministre de la Justice renoncera au dernier moment.

La question du déménagement de la prison de la Santé est pourtant remise à l'ordre du jour au lendemain des grandes mutineries de 1971 et 1972.

Dans ces années-là, une aile est sécurisée pour accueillir un « quartier de haute sécurité », destiné à loger les détenus les plus dangereux : terroristes ou condamnés liés au grand banditisme. Jacques Mesrine en est l'un des pensionnaires. Si les effectifs des gardiens sont repartis à la hausse (il y a 320 surveillants en 1982), les locaux deviennent inhabitables. Certaines cellules, dont l'installation électrique est jugée dangereuse, sont condamnées. C'est désormais dans 880 cellules que se pressent 1 933 prisonniers. Là où la capacité d'accueil devrait être de 300 personnes au regard des normes européennes en la matière.

À partir des années 90, la situation devient si critique que plusieurs ailes du bâtiment doivent être fermées...

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