Sylvie Paré a été institutrice dans une école primaire de la banlieue parisienne pendant 18 ans. En 2000, elle a voulu tenter une nouvelle expérience : celle d’enseigner dans un établissement pénitentiaire.
En collaboration avec Cécile de Ram, Sylvie Paré raconte son expérience dans "L’école en prison" (Editions du Rocher).
Il n’y a pas une raison, mais bien des raisons qui m’ont poussée vers l’enseignement en établissement pénitentiaire. En 2000, après 18 ans en tant qu’institutrice dans une école primaire de la banlieue parisienne, j’ai eu envie de changer de voie. Mon enthousiasme s’émoussait, je ressentais l’envie de me lancer un nouveau défi. Pourquoi ne pas enseigner à des adultes ?
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Toute ma vie, j’avais été intéressée par le milieu carcéral. De quelle façon pouvait-on vivre enfermé dans un lieu 24 heures sur 24 ? J’ai donc suivi une formation à l’IUFM pour me spécialiser. L’année suivante, en 2001, j’étais affectée à la prison de Nanterre avec en tête l’idée que ma mission serait d’utilité publique.
En prison, le plus impressionnant, c’est le bruit
Je me souviens précisément de mes premiers jours de cours. Face à cet immense édifice, isolé de la cohue d’une ville, sans cris d’enfant, surveillé par des hommes en uniforme, l’ambiance n’est pas celle de l’école élémentaire dans laquelle j’avais travaillé.
Chaque matin, je traverse le parking à côté duquel les parents de détenus patientent, puis j’arrive au sein de l’établissement principal. Y rentrer, c’est comme partir en voyage en prenant l’avion. Je dois passer un sas de sécurité dans lequel nous retirons nos ceintures, nos chaussures… Un rituel quotidien.
Le plus impressionnant, c’est le bruit. Les cellules qui se ferment, les portes qui claquent, les cris, le son des talkies-walkies qui ne s’arrêtent jamais sont déroutants. Et puis, il y a aussi les odeurs, celles du shit, de la transpiration ou encore de la mauvaise haleine. Il m’a fallu du temps pour m’habituer à cet univers.
De 18 à 78 ans, un public très hétérogène
En tant que femme, mieux vaut ne pas porter de mini-jupe et choisir des vêtements simples pour éviter les remarques déplacées, mais la plupart des détenus sont respectueux avec leurs enseignants.
Je reconnais qu’au début, j’avais quelques craintes quant à ma capacité à enseigner à des adultes. Au sein de la prison de Nanterre, 140 détenus majeurs et 17 mineurs sont scolarisés sur une population carcérale de 1.035 personnes. Mon public est indiscutablement hétérogène.
Dans le quartier des adultes, on peut se retrouver avec des détenus âgés de 18 à 78 ans et les niveaux ne sont pas les mêmes pour tous. Heureusement, il existe plusieurs classes que nous constituons en tenant compte des connaissances et aptitudes des uns et des autres. Certains préparent des diplômes, d’autres apprennent à lire.
Ce qui prime avant tout, c’est notre capacité d’adaptation : enseigner en prison, c’est faire preuve de pédagogie, savoir improviser tout en individualisant les enseignements auprès d’élèves très différents.
Les mineurs incarcérés sont les plus difficiles
Très vite, je me suis retrouvée à enseigner auprès des mineurs incarcérés. C’est peut-être ce qu’il y a de plus difficile, car, contrairement aux adultes, ils sont obligés d’être scolarisés.
Il est primordial que j’arrive à capter leur attention et ce n’est pas toujours évident. Ensemble, nous étudions régulièrement de grands auteurs, comme Victor Hugo, dont ils savent apprécier la richesse de la langue.
Le plus difficile, c’est de faire face aux éventuelles tensions dans des groupes. Nous sommes souvent contraints de les changer de groupe pour éviter les conflits.
Des succès, et des échecs
Certains détenus préparent des diplômes, d’autres souhaitent bénéficier de formations professionnelles. À Nanterre, nous en délivrons trois dont un BEP d’opticien qui est très couru. L’année dernière, dix personnes ont passé leur baccalauréat. Certaines années, le taux de réussite aux examens atteint les 100%.
Je me souviens notamment de Kalidou, un élève inscrit la première année de son incarcération en Bac pro gestion et administration. Il avait obtenu le bac avec mention très bien. L’année suivante, je l’ai inscrit au Centre national des arts et métiers pour préparer un diplôme de gestion par correspondance. Tous les matins, il se levait à 4 heures, seul moment calme de la journée, pour étudier. Après avoir été transféré, il a pu être libéré. Aujourd’hui, il continue ses études à l'extérieur.
Mais tous les détenus n’ont pas la même volonté. Cela a été le cas de Rodolphe, 17 ans, qui s’est révélé très vite comme un étudiant brillant. C’était un excellent élève en français et nous avions beaucoup d’espoir pour lui. Jugé en juin et condamné à une peine lourde, il a totalement décroché l’année suivante, notamment à cause de la drogue. Ça a été une immense déception pour l’ensemble de l’équipe pédagogique, constituée de 22 personnes dont six enseignants à temps plein.
Mieux vaut ignorer leur passé criminel
Au début, je n’étais pas toujours informée des crimes ou délits commis par mes élèves.
Je me souviens notamment de l’un d’entre eux. Il avait une trentaine d’années, et très vite, j’ai commencé à m’interroger : il me semblait improbable que ce jeune homme bien sous tous rapports puisse être incarcéré. Pensant qu’il s’agissait d’une simple erreur de parcours, je me suis renseignée et j’ai appris qu’il avait été condamné pour un infanticide. Ça a été un véritable choc. Dès lors, j’ai eu beaucoup de mal à lui enseigner quoi que ce soit.
Cette expérience m’a permis de réaliser qu’il était préférable d’occulter ce type d’information. Je ne veux en aucun cas juger les détenus. Je le sais au début de leur incarcération, mais j’essaye de l’oublier aussi vite que possible.
Un laboratoire pédagogique incroyable
Mon travail m’apporte une richesse humaine incomparable. J’ai la sensation, au fil de toutes ces années, d’avoir acquis une connaissance de l’être humain que j’étais loin de soupçonner au début de ma carrière.
Cela fait 16 ans que j’ai choisi ce métier, et je ne m’en lasse pas...
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