Les 43 avocats du barreau de Haute-Loire sont en grève ce vendredi et toutes les audiences de toutes les juridictions sont renvoyées. Ils protestent contre le projet de loi de finances qui doit entrer en vigueur début 2014. En début d'après-midi, Christiane Taubira a reculé...
En écho d'un mouvement national (une trentaine de barreaux en grève), les 43 avocats du barreau altiligérien sont en grève ce jeudi. La profession n'est pas habituée à descendre dans la rue mais l'avait déjà fait en 2010 au Puy contre la réforme des gardes à vue (lire). Une délégation a été reçue vendredi matin en préfecture par le directeur du cabinet avant que le cortège ne se rende à l'hôtel de ville pour rencontrer Laurent Wauquiez.
Le représentant de l'Etat, à l'instar de ses homologues de l'hexagone, fera remonter les revendications des avocats à Paris et le député-maire du Puy s'est engagé à faire une question écrite au gouvernement.
Une baisse d'indemnités de près de 20 %
Le mouvement national des avocats s'est fédéré contre l'article 69 de la loi de finances sur l'aide juridictionelle. Rappelons déjà que le plafond de revenus pour obtenir cette aide est maintenu à 929 € depuis 2009, soit en dessous du seuil de pauvreté défini par l'Insee (964 €). Les motifs de cette grève sont multiples mais le principal pour les avocats est "l'atteinte portée aux droits de la défense des plus faibles et des plus démunis".
Une augmentation qui se traduit par une diminution en Haute-Loire
Le système de calcul est assez complexe et repose sur des unités de valeur, variables selon les zones géographiques. Il faut par exemple huit unités de valeur pour une défense en correctionnelle. Fixée à 22,50 € depuis 2007, l'unité de valeur sera en fait augmentée de 1,50 % mais la suppression de la modulation géographique entraîne une diminution de l'indemnité en Haute-Loire. Idem pour 157 barreaux des 161 français.
Le projet de loi de finance pour 2014 prévoit en Haute-Loire une réduction des indemnités versées aux avocats au titre de l'aide juridictionnelle de 9 %, alors que ces indemnités n'ont pas été augmentées depuis 2007 et qu'elles n'ont pas suivi l'inflation, qui est de l'ordre de 11 % sur cette période, ce qui signifie une diminution d'environ 20 % en euros constants. Notons que l'indemnité d'aide juridictionnelle ne représente qu'une petite part des revenus des avocats, mais qu'il est parfois impossible de se faire payer : "il y a beaucoup de dossiers où l'on travaille pour rien car il faut de nombreuses pièces justificatives que les justiciables n'ont pas toujours en leur possession... Alors si en plus on nous réduit les indemnités de 9 %...", déplore une avocate ponote.
"On déshabille les avocats pour habiller l'administration pénitentiaire"
"On déshabille les avocats pour habiller l'administration pénitentiaire"
Ce projet de loi de finances vise donc à réaliser des économies pour la garde des Sceaux alors que d'autres postes sont en augmentation. Le bâtonnier du Puy Jacques Soulier nous donne son point de vue : "C'est plus une des préoccupations de Bercy (ndlr : ministère de l'Economie et des Finances) que de la place Vendôme (ndlr : ministère de la Justice). La Chancellerie a voulu supprimer 32 millions d'euros au titre du budget de l'aide juridictionnelle pour essayer de le répartir sur d'autres postes".
Mais lesquels ? "On s'aperçoit notamment que les programmes de construction de prison qui ont été engagés ces nombreuses années sont très très gourmands en budget. Tout le monde sait qu'en matière d'immobilier, les budgets sont très facilement dépassés donc on déshabille les avocats pour habiller l'administration pénitentiaire, ou la loger en tout état de cause", conclut-il dans un sourire.
La menace d'une désertification juridique
Pour les personnes admissibles à l'aide juridictionnelle, il n'y aura strictement aucun changement puisque la prestation de l'avocat sera toujours la même. "Comme le barreau s'en honore depuis la nuit des temps, les plus démunis sont défendus comme les plus aisés", relève Jacques Soulier, "c'est une question de déontologie de la profession d'avocat, mais cette diminution d'indemnisation va engendrer une diminution des revenus nets des avocats, pourtant déjà amputés par de nombreuses charges depuis plusieurs années".
Ce projet de loi ne devrait donc pas altérer le justiciable mais les conséquences indirectes demeurent, surtout avec l'annonce de la disparition du juge d'instruction au Puy au 1er janvier 2014. Le bâtonnier du Puy met en garde : après la désertification médicale, cette mesure pourrait conduire à un désert juridique en Haute-Loire. Ecouter.
En France, le budget de l'aide juridictionnelle serait ainsi sabré de 32 millions d'euros. La participation moyenne par habitant en France pour ce dispositif est de 5,60 € par an, alors qu'elle est de 8 € à l'échelle européenne.
En 2012, 433 595 € ont été attribués au titre de l'aide juridictionnelle en Haute-Loire. Cette baisse de 9 % représenterait ainsi une perte de près de 40 000 € pour le barreau altiligérien. Notons enfin qu'en 2013, déjà 465 000 € ont été attribués au titre de l'aide juridictionnelle en Haute-Loire alors que nous abordons le dernier trimestre.
Le budget consacré à la Justice demeure un des plus faibles d'Europe
Le Justice en France ne semble pas être une des priorités du gouvernement depuis déjà de nombreuses années. Nous disposons par exemple de moins d'un tribunal pour 100 000 habitants (comme l'Arménie ou la Géorgie) et de 10,7 juges pour 100 000 habitants (la moyenne européenne est à 21,3). Idem pour les avocats, avec 79,6 pour 100 000 habitants dans l'hexagone quand la moyenne européenne est à 127,1.
En 2008, la France était avant-dernière des 40 pays étudiés par la Commissin du Conseil de l'Europe. A l'automne 2012, elle est parvenue à grimper à la 34ème place de ce classement, en consacrant 0,20 % de son PIB par habitant au système judicaire, soit 60,50 € par an. Rapportée à sa richesse nationale et à sa population, c'est autant que l'Azerbaïdjan...
La garde des Sceaux recule...
En début d'après-midi, la garde des Sceaux, Christiane Taubira a annoncé que la réforme du financement de l'aide juridictionnelle ne sera pas appliquée en 2014. La ministre va présenter, pour ce faire et avec l'accord du Premier ministre, un amendement au projet de loi de finances 2014 pour demander au Parlement d'annuler cette mesure.
Reste le problème des millions d'euros d'économie que devait permettre cette réforme : il faudra désormais les trouver ailleurs dans le budget de l'Etat, en dégageant des économies ou en assurant des recettes supplémentaires. Une des pistes reposerait sur une taxation des actes juridiques...
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