Bernard Cazeneuve, le ministre de l’Intérieur, a évoqué, ce lundi matin, «la diffusion d’une pensée radicale» dans les prisons françaises après l’arrestation de Mehdi Nemmouche…
«Je pense que la radicalisation s’est faite en prison…» La tante de Mehdi Nemmouche en est persuadée. Ce sont les trois années passées derrière les barreaux de la prison de Grasse (Alpes Maritimes) qui ont fait passer son neveu du statut de braqueur de supermarché à celui de djihadiste, auteur présumé de la tuerie de Bruxelles (Belgique).
Alors que Bernard Cazeneuve, le ministre de l’Intérieur, présentera un plan d’actions le 25 juin, 20 Minutes fait le point sur la radicalisation dans les prisons françaises…
Combien y-a-t-il d’islamistes radicaux dans les prisons françaises?
Etudiant le phénomène depuis de longues années, le sociologue Farhad Kosrokhavar* vient de remettre un rapport au ministère de la Justice sur le sujet. «Sur l’ensemble des détenus musulmans, il y a entre 300 et 400 radicaux», assure-t-il à 20 Minutes ce lundi matin.
Un chiffre relativement stable. En 2008, lors d’un colloque, les chercheurs de l’Institut national des hautes études de sécurité (Inhes) avaient avancé le nombre de 340 détenus «radicaux» ou «en voie de radicalisation» sur les 64.000 prisonniers que la France comptait à l’époque.
S’il n’y a évidemment pas de statistiques officielles sur le sujet, dans un rapport de 2011, Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, estimait à 30 à 40% la proportion de détenus musulmanssur l’ensemble de la population carcérale. A demi-mots, l’administration pénitentiaire elle-même reconnaît qu’environ un détenu sur deux se définit comme musulman.
Les radicaux ne constituent donc pas la majorité des prisonniers musulmans. «Mais il y a effectivement quelques cas difficiles qui font du prosélytisme», reconnaît Léonard Lopez, de l’association Sanâbil qui vient en aide aux détenus musulmans.
Quel est le profil de ces islamistes radicaux?
Comme les Basques ou les Corses, ceux que les détenus appellent les «Barbus» jouissent d’une certaine aura une fois derrière les murs des prisons. «Certains d’entre eux avaient des idées très dures, raconte à 20 Minutes Mohammed* qui a passé deux ans derrière à la prison de la Santé. Je me rappelle par exemple qu’ils ne voulaient pas répondre quand une surveillante femme s’adressait à eux…»
>> Témoignage: Un ancien détenu parle des «Barbus»
C’est surtout auprès des jeunes détenus qu’ils exercent une forme de prosélytisme. «J’ai vu pas mal de petits caïds. Ils ne sont pas forcément pratiquants. Mais lors de la promenade, ils se rapprochent des Barbus. Ceux-ci leur parlent de rédemption, de la voie à suivre pour se faire pardonner. Et certains se laissent convaincre…»
Pour le sociologue Farhad Kosrokhavar, la prison n’est que l’un des lieux parmi tant d’autres où s’opère aujourd’hui la radicalisation. «Du coup, en prison, comme dans certaines mosquées, on trouve de nombreux convertis à l’islam qui prônent une vision rigoriste de la religion.»
Sont-ils particulièrement surveillés?
L’administration pénitentiaire a mis sur pieds un système de surveillance étroit autour des islamistes les plus radicaux qui sont aujourd’hui emprisonnés. «Dès que quelqu’un allait leur parler, les matons venaient se renseigner, poursuit Mohammed. Ils sortaient alors un petit cahier rouge et ils notaient vraiment tous les renseignements.» A chaque incident particulier, les surveillants pénitentiaires doivent en effet rédiger un rapport circonstancié. Facile d’imaginer que ce genre de rapport alimente les services de renseignements français.
C’est une fois sorti de prison que ces «djihadistes» sont difficiles à suivre, d’après Farhad Kosrokhavar. «Bien souvent, ce sont des jeunes isolés dans un groupe de deux ou trois personnes maximum, explique le sociologue. La plupart sont fragiles psychologiquement ou déséquilibrés. Et donc difficilement détectables par les services…»
L’avocat Dominique Many a défendu un jeune qui avait le projet de partir combattre en Irak. «Les jeunes sont des réceptacles, confie-t-il à 20 Minutes. Ils les considèrent comme des résistants. Repéré très vite par les surveillants, mon client a dû être transféré parce qu’il prêchait au milieu de la cour. Mais il a recommencé, une fois, transféré dans une autre prison…»
«A part quelques jours à l’isolement, que voulez-vous faire de ces détenus?», interroge Farhad Kosrokhavar.
Les aumôniers musulmans sont-ils assez nombreux dans les prisons?
Non. Et c’est bien le problème. Aumônier national musulman des prisons, Moulay El Hassan El Alaoui Talibi estime qu’il est difficile de se radicaliser en prison. «Entre la présence des surveillants et la nôtre, les radicaux sont vite repérés…»
Le problème, c’est que les aumôniers musulmans ne sont pas assez nombreux. Les derniers chiffres connus évoquent un contingent de 655 aumôniers pour la communauté catholique, 317 pour les protestants alors qu’il n’y en a que 150 pour les musulmans. En 2013, l’administration pénitentiaire avait prévu d’en recruter quinze de plus.
* La radicalisation (Editions de la maison des sciences de l’homme). A paraître en octobre 2014.
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