A travers une immersion à Fleury-Mérogis, Jean-Charles Doria montre les limites du système pénitentiaire face aux « prophètes de l’ombre »
Les prisons françaises sont démunies face à la menace que représente l’arrivée massive des islamistes radicaux derrière les barreaux. C’est le constat que tire Jean-Charles Doria, réalisateur des Prophètes de l’ombre. Le journaliste d’investigation avait signé en 2013 un documentaire sur Mohammed Merah qui avait fait polémique.
Certains avocats des victimes des tueries de Toulouse et de Montauban de mars 2012 avaient réclamé la déprogrammation du film au motif qu’il offrait la parole aux intimes du terroriste.
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L’inquiétante plongée au cœur des prisons françaises de Jean-Charles Doria n’est pas la première du genre. Début 2015, Guy Lagache avait enquêté sur la montée de l’islamisme radical dans la maison d’arrêt de Lyon-Corbas. Doria s’est concentré sur Fleury-Mérogis, la plus grande prison d’Europe, monstre architectural de béton, dans lequel sont incarcérés 4 000 détenus.
On découvre ainsi la cellule de Mehdi, candidat au djihad au Mali, condamné à six ans de prison ferme. Le détenu, à qui il arrive d’écouter le « Coran à fond », dispose d’une bibliothèque de livres religieux, dont une biographie du Prophète. Ses propos sont plus qu’ambigus : « Ce que je pense de Daech ? Franchement, j’ai aucun point de vue parce qu’il y a trop de confusion. Après, je n’ai pas été là-bas. Je ne les ai pas fréquentés, donc je ne peux pas donner de jugement. »
Pour éviter qu’il ne propage ses idées, il est isolé. Pour autant, il est libre de descendre en promenade parmi les autres détenus. Derrière une vitre, un surveillant tente de détecter les comportements suspects, notamment ceux qui sont connus pour être des islamistes radicaux. On ne peut qu’être sidéré devant les méthodes de surveillance et d’évaluation de la radicalisation, pour le moins empiriques. L’aveu le plus terrible de ce documentaire vient de la bouche de la directrice de la prison, Nadine Piquet, qui reconnaît qu’« on ne peut empêcher le prosélytisme ».
Ceux qui découvrent la prison sont des proies faciles pour les imams autoproclamés. Pour contrer leur discours, les aumôniers nommés par le Conseil français du culte musulman sont trop peu nombreux : 200 pour 30 000 détenus musulmans. Dans la plupart des cas, le dialogue est de toute manière impossible avec les plus radicaux.
L’Etat n’a guère mieux à proposer en termes de solutions. Après les attentats de Paris de janvier 2015, le gouvernement a mis en place des quartiers spécifiques. A la prison de Fresnes, vingt-deux prisonniers radicaux ont été regroupés dans une douzaine de cellules. Une mesure phare durement critiquée, notamment par l’ancien juge antiterroriste Marc Trévidic.
Selon lui, mélanger des jeunes condamnés qui ont appelé au djihad derrière leur écran à des terroristes en puissance qui ont passé deux ans à combattre en Syrie a été une grave erreur. On ne peut que lui donner raison lorsque l’on suit l’itinéraire de Jonathan, 22 ans, condamné à six ans de prison pour avoir notamment hissé un drapeau d’Al-Qaida sur le toit de sa maison. Incarcéré à Fresnes, il doit se plier à la loi des codétenus les plus durs. Transféré dans une autre prison, il arrive à prendre ses distances avec l’islam radical, avant de replonger. Le détenu participe désormais à un atelier de déradicalisation.
C’est le point fort du documentaire : Jean-Charles Doria a suivi les détenus pendant plusieurs mois. Son enquête expose les limites du système pénitentiaire français tout en rendant compte de l’extrême vulnérabilité des détenus.
Islamistes en prison, « les prophètes de l’ombre », de Jean-Charles Doria (Fr., 2016, 50 min).
Le Monde
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