jeudi 24 mars 2016

Perpétuité: ce qui existe, ce qui est possible

Alors que la question de la prison à perpétuité revient en force dans le débat politique, tour d’horizon de ce qui existe, de ce qui est possible juridiquement, de ce que disent les défenseurs des libertés publiques.

Que disent les textes ?

Il est possible en France de condamner certains criminels à la réclusion à perpétuité assortie d’une période de sûreté «incompressible».

Le code pénal réserve cette condamnation, la plus lourde du droit français depuis l’abolition de la peine de mort, aux assassins, dans deux cas:

— la victime est «un mineur de quinze ans et l’assassinat est précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie»

— la victime est «un magistrat, un fonctionnaire de la police nationale, un militaire de la gendarmerie, un membre du personnel de l’administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l’autorité publique» dans l’exercice de ses fonctions.

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Le projet de loi pénale actuellement en discussion parlementaire prévoit d’ajouter les auteurs d’actes terroristes.

Même pour ces criminels, un aménagement reste possible, après trente ans de détention et sous des conditions extrêmement strictes.

Que se passe-t-il en pratique ?

La réclusion à perpétuité incompressible, peine créée en 1994 et étendue en 2011, ne concerne aujourd’hui que trois hommes en France: Nicolas Blondiau, Michel Fourniret et Pierre Bodein.
Mais bien d’autres détenus passeront la majeure partie de leur vie, voire toute leur vie, derrière les barreaux: «il y a des gens qui sont depuis plus de 40 ans en prison en France. Il y a des gens qui ne sortiront jamais. Je doute qu’on accorde un aménagement à un Guy Georges (tueur en série). La libération conditionnelle n’est pas un droit, c’est une possibilité», précise Virginie Duval, présidente de l’USM, syndicat majoritaire dans la magistrature.

Lucien Léger, un temps détenteur du record de détention en France, avait été condamné en 1966 pour avoir tué un petit garçon, et était libérable à partir de 1979. Mais il n’avait obtenu de libération conditionnelle qu’en 2005.

Une perpétuité irrévocable, c’est possible ?

Non, pas en l’état actuel du droit français et international.

Si la France décidait d’aller plus loin que la réforme pénale actuellement en discussion, et créait une perpétuité irrévocable excluant toute possibilité de sortie du vivant du condamné, elle serait condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, comme cela a déjà été le cas pour le Royaume-Uni.

«Si demain on voulait étendre cette durée (de trente ans minimum) sans possibilité d’aménagement de peine, il ne suffirait pas d’un petit amendement, il faudrait refondre le code pénal. Et ce ne serait pas possible car on serait immédiatement condamnés par la CEDH», assure l’avocat Carbon de Seze.

Qu’en disent les défenseurs des libertés ?

Pour Laurence Blisson, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, orienté à gauche, créer une perpétuité sans issue saperait le fondement «humaniste» du droit pénal, qui entend punir les criminels et protéger la société, mais sans jamais condamner à «une élimination sociale définitive.»

«Le débat est d’autant plus vaseux, que comme pour la déchéance de nationalité, on s’adresse à de braves gens, à qui on fait peur, alors qu’ils ne seront jamais concernés», critique pour sa part Me Carbon de Seze.

Même parallèle pour Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme: «Un vrai scandale, du populisme à l’état pur, c’est de même nature que la déchéance de nationalité».

«On n’est plus dans la sanction, on est dans la vengeance», dit-il, ajoutant: «Potentiellement on crée des fauves en (..) enlevant tout espoir» aux condamnés.

L'Est éclair

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