lundi 4 mai 2015

A LIRE - "Ma seule arme c'est mon sifflet" : quand les gardiens de prison craquent

Pour les gardiens aussi, la prison est un monde de violences. Rencontre avec des surveillants de Fleury-Mérogis.
A la prison de Fleur-Mérogis, le 27 octobre 2011. (AFP)
 
A les entendre, l'institution pénitentiaire porte bien son surnom de "petite muette". Leur discours est unanime : ils sont les grands oubliés de la place Vendôme, négligés par la Garde des Sceaux, ceux à qui l'on demande de faire toujours plus alors qu'ils sont déjà au bord de l'implosion. Des ombres fatiguées sur les coursives des prisons, obligées de fermer leur gueule sous peine de sanctions.

Au local de la CGT pénitentiaire de Fleury-Mérogis dans l'Essonne, situé à l'extérieur, à quelques mètres de la plus grande prison d'Europe, les matons défilent. Les griefs contre leur administration, responsable selon eux de tous leurs maux, sont jetés pêle-mêle.
 
Par quoi commencer ? Par le sous-effectif chronique des agents de détention, par la charge de travail intenable, par l'insécurité, par les horaires décalés ou par les relations avec les détenus, réduites au strict minimum ? Le système est à bout de souffle, les problèmes sont les mêmes depuis tant d'années.
Dernièrement, le branle-bas de combat pour lutter contre la radicalisation en prison agite leurs conversations. Sur le sofa rouge de cette pièce aux allures d'Algeco, ils livrent, les bras croisés, prêts pour une nouvelle journée de travail, quelques bouts de cette vie en détention où la violence est reine.

"L'usine"

Le malaise dépasse les murs de la prison dans ce confessionnal improvisé. Premier réflexe : aucun nom ne peut être cité, l'initiale du prénom doit être changée, même les mains ne pourront pas être photographiées. Comble de la discrétion, ils se désignent entre eux par la lettre qu'ils se sont choisie. 
D. a une trentaine d'années, elle est surveillante depuis trois ans. Comme tous les agents de détention présents ce jour-là, elle vient des DOM et a trouvé à Fleury une porte de sortie au chômage de son île natale. La dureté du job ? Elle n'y avait pas vraiment réfléchi.
Avant d'arriver, on m'avait dit que c'était l'usine. C'est vrai, c'est l'usine, on tourne tout le temps", commence-t-elle.
Son "choc carcéral", elle l'a eu trois ans plus tôt au centre pénitentiaire de Réau, en Seine-et-Marne, lors de ses premiers pas en prison. En stage de mise en situation, elle s'est retrouvée à devoir gérer pendant une heure les détenus, seule, avec quelques élèves et stagiaires. "Il n'y avait ni gradés, ni hiérarchie. Les anciens étaient en poste protégé, à la porte d'entrée. Nous n'étions que des agents inexpérimentés à faire tourner la détention. J'étais démunie." Après ça, la jeune femme se sent pourtant prête à affronter Fleury :
J'avais vu le pire de toute l'Île-de-France !"
Fleury, 200 hectares de béton, 300 mètres de murs d'enceinte, sept bâtiments en forme de tripales (hélice à trois pales), des couloirs à perte de vue, près de 4.000 détenus pour 2.800 places, un taux d'occupation d'environ 169 % sur la maison d'arrêt hommes, 1.300 agents de détention, un déficit de 149 surveillants.

"Tout ce que je fais est bâclé"

Dans ce mastodonte pénitentiaire, le travail tient de la performance physique et mentale. Faute de personnel suffisant, les repos hebdomadaires passent souvent à la trappe, la disponibilité infinie, les heures supplémentaires s'enchaînent pour la nécessité du service public : près de 40 heures en plus par semaine pour D.. "Le plus dur, ce sont les horaires en journée, de 8 heures à 18 heures, et puis on enchaîne le lendemain en horaire du matin dès 6h35. Je suis tout le temps fatiguée, l'attention diminue".
 
Avec la surpopulation carcérale, chaque surveillant doit aujourd'hui gérer entre 120 et 150 détenus, au lieu de 90 en théorie, et il n'est pas rare qu'ils se retrouvent à quatre agents seulement pour organiser les "retours-promenade", 300 détenus, un étage entier. La surcharge de travail, corollaire de la question sensible du sous-effectif, est le plus souvent pointée. W. a une quarantaine d'année et 15 ans de service : "Avec mon expérience, j'arrive à m'en sortir, mais tout ce que je fais est bâclé. Je vous donne un exemple : à 7h15, on peut me demander en même temps de faire descendre les libérables et de me diriger vers le premier étage pour faire les départs à l'atelier."

Insécurité et intimidations

Dans ces conditions, la sécurité est devenue leur priorité numéro 1. Pourtant, être du "bon côté" de l'œilleton ne garantie plus leur protection. Le sentiment d'abandon commence avant même de passer le pas de la porte d'entrée. Malgré le plan Vigipirate renforcé, aucun garde statique, ni garde mobile, n'est présent.
 
Lors des attentats de janvier, des agents de la sécurité intérieure ont été déployés et une voiture de la gendarmerie a bien fait des rondes. Insuffisant pour les gardiens. "Quand je suis arrivé à Fleury-Mérogis, il y avait des équipes régionales d'intervention, notre GIGN à nous, il y avait deux gendarmes qui faisaient régulièrement le tour des résidences des surveillants, situés à quelques mètres de l'établissement. Aujourd'hui, il n'y a plus rien", regrette W.
 
 
Il y a six ans, en quittant le travail, il s'est fait suivre par deux personnes après avoir été désigné à des visiteurs par un détenu au parloir. Un épisode resté au stade de l'intimidation, mais l'absence de réaction de sa hiérarchie lui a laissé un goût très amer.
 
Le laisser-aller de la direction va, selon leurs dires, jusqu'à se loger dans des histoires de chiffons.
Si lors d'une intervention avec un détenu, notre uniforme est déchiré, qu'il est taché de sang, ou qu'on a reçu une pluie d'excréments, c'est toute une histoire pour changer de tenue", raconte W.
Au final, on finit le service sans vêtements propres ou bien avec la tenue réservée habituellement aux détenus qui n'ont pas les moyens d'obtenir des vêtements personnels !"
Le sentiment de dévalorisation est tel que les gardiens se prennent à espérer une intégration au ministère de l'Intérieur, plus à l'écoute de son personnel selon eux, avec des "uniformes de qualité, qui ne se déchirent pas, qui ne se délavent pas au bout de deux lavages, qui n'ont pas une manche plus longue que l'autre". A les regarder, on est tenté de croire qu'ils exagèrent.
Je vous assure, nos vêtements sont fabriqués ici-même dans les ateliers en prison !", continue W.

Drogue, couteaux, tablettes...

Il est bientôt l'heure d'embaucher, mais dans le local de la CGT pénitentiaire, les sacs ne sont pas encore tous vidés. Le souci de G., 28 ans, à Fleury depuis 2012, c'est l'entrée massive de toutes sortes de choses dans les bâtiments. Sans remettre en cause la suppression des fouilles à corps systématiques au parloir, humiliante pour les détenus, comme pour les gardiens, il voudrait plus de moyens pour lutter contre les trafics.
 
"Je veux bien penser à une nouvelle prison, mais le problème c'est qu'aujourd'hui on trouve de tout en cellule : des tablettes, de la drogue, des balles, des couteaux en céramique... Surtout que la consommation de cocaïne depuis cinq ans est de plus en plus importante. Or, nous ne sommes pas formés à gérer une population aussi énervée." Il poursuit :
La prochaine fois, que va-t-on trouver derrière la porte ? Quelqu'un prêt à m'égorger ? On n'a rien, ma seule arme c'est mon sifflet."

Un taux de suicide plus important

En première ligne avec les détenus, mais aussi confrontés aux familles, aux avocats et aux psychologues, les surveillants craquent souvent dans ce monde de l'enfermement.
 
Pour la première fois, l'InVS (l'Institut de veille sanitaire) s'est intéressé aux causes de décès des agents et ex-agents pénitentiaires entre 1990 et 2008. L'étude publiée le 31 mars dernier traduit bien ce malaise profond et constant : les suicides chez les surveillants pénitentiaires masculins sont 20% plus nombreux que dans la population générale. Cet "excès de suicide", n'a, selon les chercheurs de l'InVS, probablement pas "une origine unique". Selon le rapport,
Les surveillants sont exposés à des contraintes psychosociales reconnues délétères pour la santé psychique et pouvant constituer un élément déclencheur des conduites suicidaires".
Depuis le début de l'année 2014, il y a en moyenne six agents par mois qui ont quitté l'administration pénitentiaire pour une autre administration.

Le défi de la radicalisation

Les attentats de janvier et l'attention portée sur la radicalisation en prison n'ont, aux yeux des surveillants, pas permis de pointer les vrais problèmes. "Si on veut réfléchir au phénomène de la radicalisation dans les prisons, il faut avant tout réfléchir de manière plus globale à tous les phénomènes qui existent en prison...
 

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