Le parcours du tueur de Magnanville, Larossi Abballa, pose une fois de plus la question de la radicalisation en prison.
Un plan anti-terroriste a été voté pour les prisons considérées comme sensibles après les attentats de Charlie. A quoi a servi cet argent à Saint-Martin-de-Ré ?
Les attentats de janvier 2015 ont été le déclic : la prison est mise sur le banc des accusés. C’est là, à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, que se sont rencontrés Ahmedy Coulibaly et Cherif Kouachi.
Le ministère de la Justice est pris de court. Il lui faut alors échafauder un Plan de lutte anti-terroriste (PLAT).
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Un budget de 31 millions est débloqué à la hâte pour l’administration pénitentiaire. La priorité est donnée aux prisons de la région parisienne qui concentrent près de 80 % des 172 détenus soupçonnés d’appartenir à des filières djihadistes.
La direction de l’administration pénitentiaire dresse une liste des 27 établissements pénitentiaires où sont internés les quelques 1600 individus radicalisés emprisonnés. Saint-Martin-de-Ré en fait partie, comme le précise un document de travail du ministère que nous avons pu consulter.
Deux jours de formation pour détecter les signes de radicalisation
Les surveillants de Saint-Martin-de-Ré ont reçu une formation de deux jours avec des magistrats spécialisés pour les aider à détecter les signes de radicalisation. Les conversions soudaines doivent par exemple alerter le personnel de la maison centrale, explique Emmanuel Giraud, délégué syndical FO : "Si un prisonnier demande tout à coup un régime hallal et qu’il se balade du jour au lendemain en djellaba, cela doit nous interpeller. Nous écrivons alors un rapport qui est versé à son dossier pénitentiaire".
Mais une pratique ostentatoire de la religion musulmane n’implique pas l’adhésion à l’idéologie djihadiste. "Les personnes détenues qui influencent le plus les autres ne sont pas des plus visibles et le repérage des prédicateurs devient de plus en plus difficile", juge le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) dans son rapport sur la prise en charge de la radicalisation islamiste en milieu carcéral. "Même leur comportement vis-à-vis des femmes, autrefois ostensiblement distant, s’est modifié".
Epiés depuis des années pour certains, les détenus les plus dangereux savent dissimuler leurs desseins, comme le raconte Olivier Falorni. "Lors de ma visite de Saint-Martin-de-Ré, j’ai rencontré un des prosélytes qui prêchait dans les casinos installés dans la cour de promenade. On lui aurait donné le bon Dieu sans confession", s’esclaffe le député de Charente-Maritime, estomaqué. Dans les années 1990, Al-Qaïda commence à enseigner à ses adeptes la "Taqiya". Utilisée à l’origine par les chiites contraints de se cacher pour éviter les persécutions, cette technique de dissimulation est désormais prisée par les réseaux djihadistes pour passer sous les radars des services de renseignement.
Le renseignement pénitentiaire : "On part de zéro"
Un officier de renseignement a été recruté dans chaque établissement considéré comme sensible. A Saint-Martin, cet agent a pris ses quartiers dans la centrale en début d’année. Il est supposé analyser et coordonner l’ensemble des informations récoltées par les surveillants. Lorsque des détenus radicaux sont finalement repérés, ils font l’objet de "fiches d’observations". Ces données sont par la suite transmises aux magistrats et aux services de sécurité de l'Etat.
Une révolution. L’administration pénitentiaire n’avait jusqu’ici aucun service de renseignement digne de ce nom. "On part de zéro", aurait même avoué le ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas, lors de son audition par la commission d’enquête sur les attentats de Paris à laquelle participe Olivier Falorni.
Une brigade spécialisée dans les fouilles ciblées
Même placés sous étroite surveillance, les détenus arrivent à se procurer des téléphones portables. Bien qu'il soit placé à l'isolement, Sid Ahmed Ghlam, accusé d'avoir planifié en avril 2015 un attentat contre une église de Villejuif et d'être l’auteur du meurtre d'Aurélie Châtelain, aurait ainsi échangé des milliers de conversations grâce à un téléphone portable. La possession de tout appareil de communication lui était pourtant strictement interdite.
C’est pourquoi Christiane Taubira, alors ministre de la Justice, a promis l’envoi de renforts dans 20 établissements sensibles. A Saint-Martin-de-Ré, sept agents seront recrutés d’ici fin 2016 pour retourner de fond en comble les cellules des détenus radicalisés ou suspectés de trafics.
La prévention de la radicalisation fait polémique
Selon les syndicats, près de 540 000 euros auraient financé l’aménagement de nouveaux ateliers dans les 20 établissements de la Direction Interrégionale des services pénitentiaires de Bordeaux. Pour l'administration pénitentiaire, l'organisation d'activités sportives et socio-culturelles concourrent à la prévention de la radicalisation des détenus, ce que contestent les représentants des surveillants.
"L'objectif n'est pas de dé-radicaliser mais bien de ne pas laisser les détenus sans occupation pour ne pas tomber dans l’extrémisme", enrage Emmanuel Giraud, délégué régional FO. Thierry Mot, responsable UFAP spécialiste de la lutte anti-terroriste, ajoute : "ces financements à l'origine dédié à la lutte contre le terrorisme ont réalité servi à mettre en œuvre des projets qui se trouvaient à l’arrêt depuis des années".
A Vivonne, où seraient incarcérés trente individus radicalisés selon nos confrères de la Nouvelle République, la moitié des fonds alloués à l'établissement a été consacrée à un programme de "médiation animale", comme l'indique cette autorisation d'engagement signée le 15 juin 2015 par la directrice interrégionale de Bordeaux, Sophie Bleuet.
D'après les chiffres avancés par les syndicats, Saint-Martin-de-Ré aurait reçu seulement 4000 euros. Les surveillants demandaient à l’inverse plus de moyens techniques comme des brouilleurs dernière génération pour empêcher les communications téléphoniques entre les détenus et l’extérieur.
France 3
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