Jean-Jacques Urvoas, depuis son arrivée à la tête du ministère de la Justice, s'attache avec constance à torpiller le maigre bilan de son prédécesseur.
Et de se plaindre de la justice sinistrée laissée par l'icône de la gauche morale, Christiane Taubira. Un moyen à un an de la présidentielle de clarifier la position du gouvernement sur la justice, et de couper l'herbe sous le pied à la droite.
Personne ne proteste. Personne ne se scandalise. Jean-Jacques Urvoas s'impose rétrospectivement comme l'opposant le plus acharné de Christiane Taubira.
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Nommé pour remplacer l'icône de la gauche morale, le nouveau garde des Sceaux ne se gêne pas pour liquider le maigre bilan dont il hérite. Et se plaindre de la justice sinistrée qu'elle lui a laissée. Il avait déjà surpris en ne gardant aucun des conseillers de la ministre, lesquels avaient, tout aussi inhabituellement, fait disparaître leurs archives.
Une passation de pouvoir entre opposants. Depuis, il donne raison à tous ceux qui payaient cher d'oser dénoncer l'inaction verbale de la poétesse adulée. Comme s'il était en mission, en cette dernière année électorale, pour couper l'herbe sous le pied de la droite. La gauche vallsiste pour effacer la gauche laxiste.
Urvoas ne déclame pas et l'on fait semblant de ne pas l'entendre, mais, depuis cinq mois, la révision est générale. En commençant par les failles de la mobilisation postattentats.
Christiane Taubira s'était opposée à l'inclusion de l'administration pénitentiaire dans la prévention du terrorisme islamique. « Tout est à faire dans ce domaine. Il n'y a pas de réalité du renseignement pénitentiaire au ministère de la Justice aujourd'hui, accuse Urvoas, qui sait aussi faire des phrases : Nous avons des mots qui masquent une absence de réalité. »
Le renseignement pénitentiaire sera désormais intégré aux services de renseignements. « Une décision de bon sens », a-t-il charitablement précisé. Il s'est ensuite attaqué au suivi fantaisiste des terroristes en fin de peine, reconnaissant devant la commission parlementaire d'enquête sur les attentats de 2015 le caractère « aléatoire » du contrôle judiciaire.
Les étonnants renouvellements de passeport d'islamistes sous contrôle judiciaire ne sont pas des bavures mais la conséquence du bazar ambiant. Urvoas s'interroge aussi sur la légèreté des peines et l'automaticité de leur réduction.
Car « l'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » n'est qu'un délit.
Membre d'une filière de recrutement de djihadistes, Larossi Abballa n'avait été condamné qu'à trois ans de prison, dont six mois avec sursis. « Il est indéniable que les peines correctionnelles sont trop faibles. Dix ans maximum et souvent beaucoup moins, ce n'est plus adapté, estime le juge Trévidic, autre avocat du bon sens. Préparer des actes en vue de tuer des personnes relève du criminel. »
Trop risqué. Pas assez de personnel. Le choc du terrorisme et les failles de la réponse judiciaire ont dramatisé la perte de confiance des Français en leur justice. Ils se défient d'une institution qui se protège par son incapacité à évaluer ses résultats, comme le dénonce la Cour des comptes.
Des services statistiques incapables de fournir des indicateurs sur les taux de récidive et de réponse pénale. Trois des victimes de Mohamed Merah absents du registre des crimes et délits. Urvoas, lui, n'hésite pas à évaluer les résultats de la seule réforme de Taubira : la « contrainte pénale » et sa « peine de probation ». En liberté. Des trois fonctions d'une condamnation - punition, mise à l'écart et réinsertion -, l'ex-garde des Sceaux privilégiait la dernière au détriment des deux autres. Eviter la prison. Se limiter à la réinsertion.
Un échec, vient de reconnaître sans détour Urvoas dans une circulaire aux parquets qui n'a guère eu d'écho. Les juges rechignent à cette fausse « peine en milieu ouvert ». Trop risqué. Pas assez de personnel. Il n'y a que 5 000 conseillers d'insertion et de probation pour suivre 250 000 condamnés.
Cela donne raison à André Vallini, qui avait mis en garde : « La peine de probation nécessite, pour être efficace, des moyens considérables que le budget de l'Etat est incapable de fournir à court terme. »
Il recommandait une expérimentation limitée aux atteintes aux biens, dans une ou deux cours d'appel, suivie d'une évaluation. Un peu ce qu'Urvoas propose aujourd'hui aux juges pour solder l'échec Taubira : qu'ils fassent l'effort de prononcer un peu plus de peines de probation et il verra si ce dispositif « mérite d'être ajusté » : « Nous jugerons de son utilité et de l'évolution qu'il convient de lui donner. »
Une course contre la montre pour éviter l'extension prévue au 1er janvier 2017 de ce dispositif aux condamnations jusqu'à dix ans de prison... Mais Urvoas ne peut se contenter de déclarer que « l'incarcération est un outil utile ». Il est coincé par la surpopulation carcérale.
C'est l'aspect le plus choquant du bilan de Taubira : le déni idéologique de l'emprisonnement s'est traduit par un désintérêt pour les droits des emprisonnés, bafoués en France comme nulle part en Europe. Soixante-huit mille prisonniers pour 58 000 places. Mille neuf cents détenus dormant sur des matelas par terre. Des femmes accouchant menottées. La pluie s'écoulant dans des cellules insalubres. Cent quinze suicides en 2015, déjà 50 fin mai 2016. Son successeur dit qu'il manque 20 000 places. A peu près le programme de construction de Sarkozy annulé. Quatre ans de perdus.
Urvoas sait qu'il ne va rien changer en quelques mois. Alors, il se raccroche à cette méthode de plus en plus répandue chez les politiques : proclamer son impuissance. Les parlementaires dressent un bilan accablant de la lutte contre le terrorisme ? Le ministre les supplie : « Aidez-moi ! »
Les syndicats protestent contre le manque de moyens ? Il fournit des exemples : « Dans certains tribunaux, on n'imprime plus les jugements parce qu'il n'y a plus d'argent pour les ramettes de papier ! » Le président de la Conférence des procureurs parle de « faillite du service public de la justice » ? Il fait de la surenchère : « embolie », « asphyxie » « clochardisation », « état d'urgence absolu ». Toujours le ministère de la parole.
Marianne
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