Franck a été enfermé dans huit établissements différents, notamment pour avoir organisé une émeute.
Alors que les incidents se multiplient dans les centres de détention, il explique ce qui l'a conduit à cette spirale de la violence.
Souvent, Franck Steiger se mélange les pinceaux quand il égrène les prisons où il est passé. Lille, Laon, Toul, Meaux, le Havre… En six ans de détention, il en a fait huit.
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Il nous en a même fait la liste dans un documents qu’il a soigneusement tapé et intitulé, avec un certain humour : "Tous les établissements pénitentiaires que j’ai visités." Des "MA", les maisons d’arrêt, aux CP, les centres pénitentiaires, en passant par les CD, les centres de détention, du plus neuf au plus vétuste : Franck a tout expérimenté. Et il collectionne dans son dossier les "CRI", les comptes rendus d'incident.
"J’étais le cauchemar de l’administration pénitentiaire. A chaque fois, je foutais le bordel, alors on me transférait pour raisons disciplinaires. Mais moi, je suis comme ça. OK, on a été jugé et puni, mais on a des droits. Faut voir comment on nous traite. Je ne pouvais pas fermer ma gueule."
Les mutineries, comme celles qui ont récemment eu lieu à Valence ou à Poitiers ? "Ça me connaît. J’ai fait une émeute à Villenaux." C’était en 2010, Franck voulait dénoncer les conditions de détention. En promenade, il harangue les autres détenus, leur fait ramasser des pierres dans la cour, met le feu à des containers à ordure : il faudra l’intervention des forces de l’ordre pour les arrêter.
Quand il passe devant le tribunal, Franck lance aux juges qu’il revendique "la lutte armée en prison". Bim, dix mois ferme en plus. Libéré en décembre 2013, Franck il reconnaît aujourd'hui qu’il avait "pété les plombs" : "En prison, t’as tellement la haine que t’es prêt à n’importe quoi. Moi, j’étais comme un chien méchant, jeté en cage. J’aurais pu tuer."
"Comme un tonneau de nitroglycérine"
Nous le rencontrons dans un café. Franck est poli, aimable. Sa prison, il veut la raconter. Tout raconter. Les violences, donc, mais aussi sa violence, à lui. Il assure être sorti de tout cela, mais comprend si bien pourquoi certains veulent "tout faire sauter".
"La violence, ça commence très vite. Je venais à peine d'arriver, ma cellule était pourrie, je voulais changer, j’ai lancé un pot de chicorée rempli d’eau de javel à un surveillant. Je bricolais toujours des trucs, des couteaux de fortune, même un stylo, ça marche si tu veux agresser quelqu’un. Certains surveillants, j’avais vraiment envie de les planter. Une prison, c’est comme un tonneau de nitroglycérine. Faut pas s’étonner quand ça part en vrille."
A ses côtés, un de ses potes, Mendy, qui avoue lui-même "avoir passé une bonne partie de sa vie" derrière les barreaux. Comme Franck, il a lui aussi été incarcéré pour des faits de braquage : ces deux-là se sont croisés en prison, sans se voir. Quand Franck a été transféré à Lille, il a appris qu’il prenait la place de Mendy, déplacé ailleurs pour avoir aussi eu maille à partir avec la direction : une embrouille à la cuisine autour d’un riz pas cuit qui s’est terminé en baston avec les surveillants.
"Tu ressors criminel ou terroriste"
Mendy est actuellement en régime de semi-liberté : le soir, il rejoint sa cellule. Franck, lui, est sorti de prison en décembre 2013. Mais même s’il a retrouvé une vie – il travaille dans le BTP – une partie de lui est encore là-bas. Derrière les barreaux, il s’est taillé une réputation, comme l’expert juridique qu’on venait consulter en tôle quand on avait un problème, à propos d'une cellule, d'un conflit avec un surveillant ou avec l'administration...
Franck conseillait, quitte à ensuite "foutre le bordel" pour obtenir gain de cause. "Je continue le taf aujourd’hui. Mais sans violence." Sur son portable, un nombre conséquent de numéros de téléphone de détenus. Il rigole quand on s'en étonne. Le téléphone portable n'est-il pas interdit en cellule ? "Rien de plus facile que se procurer un téléphone en prison !" Franck continue à conseiller donc. Et à noircir des pages et des pages. Papiers, recours juridiques ou administratifs.... "Mon arme, maintenant, c’est le stylo. Mais au figuré, hein !"
Mutinerie à Valence ou à Poitiers, agression d’un surveillant dans l’unité des "radicalisés" à Osny… Depuis le début de l’année, les mouvements collectifs de détenus ont augmenté de 33%, selon l’Observatoire international des prisons (OIP). Le syndicat FO des surveillants de prison a d'ailleurs tiré la sonnette d'alarme en appelant jeudi 29 septembre à un mouvement de grève. Pas tendre envers la pénitentiaire et les "matons", Franck partage pourtant le constat : "Bien sûr que ça pète ! Les prisons sont bondées. Tu rentres dedans, t'es un petit délinquant voleur de bonbons. Tu ressors criminel endurci ou terroriste."
"Se convertir à l'islam, c'est très tentant"
Il se souvient de son passage à Chalons : en neuf mois, cinq détenus s’étaient suicidés. "Je me souviens de ce type, un Indien, il parlait à peine français, il ne comprenait pas ce qu’il fichait là. Il s’est retrouvé dans ma cellule, et puis un jour, pouf, il s’est pendu. Un autre gars s’est fait cramer car il voulait voir ses enfants. La prison, ça broie les faibles."
D’où l’attrait de la radicalisation, pour certains. "Le profil typique, le petit blond, un peu faible, qui débarque. Se convertir à l’islam, c’est s’acheter une protection". Franck dit qu’il "n’avait pas besoin de ça", lui qui mettait à fond du hard rock dans sa cellule, pour "faire chier" les fans de rap.
"L'important, pour survivre, c'est la réputation. Moi, j’avais celle d’un dur, à cause des émeutes. Et puis j'ai partagé ma cellule avec un Tchèque assez connu, une espèce de parrain, un fou furieux. Il m’a appris à me faire respecter. L'autre avantage avec lui, c'est qu'on bouffait bien. Il trouvait toujours un moyen de cantiner. Et on se démerdait pour faire la popote. Pour fabriquer une chauffe, tu prends deux tubes de harissa, une serpillière, tu la trempes dans l'huile, tu allumes, et ça te fait un réchaud." Franck a été lui aussi dragué par les "barbus".
"Ils voulaient me recruter. Ils voyaient que j’étais déterminé. Je faisais pas mal de sport. Ça les intéresse les profils comme ça. A un moment, ils m’ont demandé s’ils voulaient que je m’entraîne avec eux. J’ai accepté. Et puis j’ai arrêté, j’avais pas envie qu’on me farcisse le crâne."
Franck dit pourtant avoir hésité à se convertir à l'islam. "Honnêtement, c'est très tentant quand t'es en prison. Mais je me suis dit que j’avais suffisamment de soucis avec l’administration. Après, j’aurais été fiché S, ça aurait été fini pour moi."
L'Obs
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