vendredi 23 octobre 2015

«Les détenus ont pris le pouvoir»

Elle ne rêvait pas de devenir surveillant. « Mais j’ai appris à aimer mon métier. Aujourd’hui je plains surtout les jeunes», glisse-t-elle. Elodie, 46 ans, a rejoint l’administration pénitentiaire à l’âge de 30 ans.

Paris, jeudi 22 octobre 2015. Les surveillants de prison ont manifesté devant le ministère de la Justice.
 
Jeudi, elle faisait partie des 2000 à 3000 manifestants venus protester devant le ministère de la Justice. «Nous souffrons comme jamais. Les détenus ont pris le pouvoir et notre hiérarchie ferme les yeux. Ils ne veulent surtout pas de vagues : ils craignent trop les mutineries, les prises d’otage... Alors on trinque en silence.»

Originaire du Nord, Elodie a subi comme beaucoup les fermetures d’usine de sa région dans les années 1990. «Je cherchais à me reconvertir et le concours de surveillant promettait une bonne paye». A cette époque et avec le recul, elle admet que les conditions de détention étaient un peu rudes, «peut-être trop».

Aujourd’hui, «on est tombé dans l’excès inverse. Les gamins font ce qu’ils veulent. Il y a trois semaines, l’un d’eux m’a menacé avec une paire de ciseaux. Il voulait se balader librement dans la détention pour trouver une cigarette et j’ai refusé. J’ai dit à ma hiérarchie ce qu'il s’était passé, mais ils n’ont absolument rien fait, ils ne l’ont même pas convoqué. Au contraire, et c’est ça le pire : c’est moi qui ai dû m’expliquer !»

«La politique d’achat de la paix sociale empêche toute fermeté»

A cette violence quasi-quotidienne s’ajoutent une baisse constante des moyens. «Comme d’autres administrations, on paye les conséquences de la politique de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux. Dans ma prison de 600 places, les effectifs prévus sont de 140 surveillants. En ce moment, nous sommes en réalité 32. Un jour, avec les repos compensatoires et les arrêts maladies, nous étions seulement 6. Il a fallu procéder à l’ouverture des cellules, comme tous les matins, avec 600 détenus face à nous. C’était tellement impressionnant que les Eris (le GIGN des prisons, ndlr) étaient postés à l’extérieur, prêts à intervenir. C’est une situation qui nous met directement en danger.»

Nommée 1er surveillant - un grade d’officier dans l’administration pénitentiaire - Elodie se considère aujourd’hui plutôt en fin de carrière. «Ça va être très difficile pour les jeunes. Aujourd’hui, les détenus s’engouffrent dans la moindre brèche, et nous mettent constamment sous pression. Si l’on était un peu plus soutenus par notre hiérarchie, ça serait déjà beaucoup, mais la politique globale d’achat de la paix sociale empêche toute fermeté.»

Un quotidien de plus en plus difficile, et pourtant. «On s’investit tellement sur le plan humain qu’on finit par aimer notre métier. C’est tout le paradoxe. Au fond, on ne demande qu’à pouvoir l’exercer en sécurité.»

Le Parisien

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