jeudi 18 août 2016

Dans l'horreur des prisons syriennes

La guerre en Syrie s’éternise, le nombre des morts grimpe de jour en jour. Des tués, des blessés, des hommes qui tentent de fuir les bombardements et le pays. Et des prisonniers. 

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Des hommes, des femmes et des enfants détenus dans des conditions inhumaines, entre la vie et la mort. Dans les prisons syriennes, et principalement celle de Saydnaya, c’est le règne de la torture et de la barbarie. Un rapport publié ce 18 août par Amnesty International donne à imaginer le pire.



Jamais une prison n’a été et ne sera un havre de paix. Mais s’il est un pays où les centres pénitenciers sont parmi les pires au monde, c’est en Syrie. Entre 2001 et 2011, Amnesty International recensait en moyenne quelque 45 morts en détention en Syrie chaque année (entre trois et quatre personnes par mois).

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Depuis le début de la crise en mars 2011 et jusqu’en décembre 2015, plus de 17 700 personnes y ont trouvé la mort, soit plus de 300 par mois, selon le Human Rights Data Analysis Group qui estime que le bilan est sous-évalué. L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), avance le chiffre de 60 000 en cinq ans. C’est un crime contre l’humanité qui se déroule dans les geôles du régime, dont une partie à la prison de Saydnaya.

Dans un rapport publié ce 18 août, Amnesty International donne, entre autres, à imaginer le pire. Quelque 65 victimes de la prison de Saydnaya témoignent des traitements subis et de la mort qui plane inlassablement, de leur arrestation à leur interrogatoire en passant par leur incarcération derrière les portes closes des centres de détention administrés par les services de renseignement syriens. Pour Philip Luther, directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International, les personnes toujours détenues « risquent de mourir à tout moment en détention ».

Saydnaya ou le règne de la terreur

Bien avant la guerre, la prison de Saydnaya faisait déjà frémir de peur. Située à une trentaine de kilomètres au nord de Damas, le silence régnait lorsqu’on l’apercevait au loin dans les montagnes en se rendant au monastère de Saydnaya. Puis les langues se déliaient, racontant des histoires les plus folles à propos des conditions de détention dans la plus tristement célèbre des prisons syriennes.

Avant d’y pénétrer, les détenus restent plusieurs mois, voire plusieurs années, dans les locaux des différents services de renseignements. Ceux qui sont jugés le sont devant des juridictions militaires.

Les procès ne durent souvent que quelques minutes et sont d’une iniquité flagrante. Avant la guerre des observateurs étrangers y étaient conviés, une hypocrisie du régime qui pensait redorer son image aux yeux de la communauté internationale. Bien souvent en effet, les observateurs, qui assistaient au « débarquement » des détenus descendant de camions, enchaînés les uns autres, étaient placés au fond de la salle et ne comprenaient pas un mot de ce qui se passait sous leurs yeux.

Puis vient alors, pour ceux qui ont survécu le transfert à la prison militaire de Saydnaya. « Dans [les locaux des services du renseignement], témoigne un survivant, la torture et les coups visaient à nous faire "avouer". A Saydnaya, on avait l’impression que le but recherché était la mort, comme une sorte de sélection naturelle où l’on se débarrassait des plus faibles dès leur arrivée. ».

Ce centre pénitencier est prévu pour accueillir entre 10 000 et 20 000 détenus, des prisonniers politiques et de conscience, c’est-à-dire tous les opposants au régime Assad.

A Saydnaya, les prisonniers sont d’abord enfermés dans des cellules souterraines durant plusieurs semaines, sans couverture alors que l’hiver syrien est particulièrement froid et humide. Ils sont ensuite transférés dans des cellules en surface, où leurs souffrances continuent.

En 2008, une énième mutinerie se produit dans le bagne particulièrement. La censure étant légion au pays des Assad, peu d’informations sortent et d’ordinaire les mouvements de contestation dans toutes les prisons du pays sont étouffés avant que les médias s’en emparent, cette fois-là grâce aux téléphones portables, des rescapés ont raconté que des bulldozers sont arrivés et que des fusils d’assaut ont été mis en place. Il y aurait eu au moins 25 morts parmi les prisonniers politiques qui protestaient contre leurs conditions de détention.

A Saydnaya encore, quatre mois après le début de la révolte en mars 2011, le régime syrien procède à la libération de centaines de prisonniers et principalement d’islamistes. Manœuvre des autorités pour mieux saboter la révolte populaire ? En tout cas, des futurs dirigeants de groupe terroristes islamistes sont parmi ceux qui sont alors libérés, tels Zaaran Allouche (Front islamique), Mohammad Al Joulani (Front Al Nosra), Ali Moussa Shawa (gouverneur de Raqqa, sous le joug de l’EI).

Un processus de déshumanisation

Lorsqu’un détenu débarque à Saydnaya, une « fête de bienvenue » selon les termes utilisés là-bas, l’attend : tabassage, interrogatoire musclé, viol et violences sexuelles, arrachage d’ongles des pieds ou des mains, brûlures avec de l’eau bouillante ou des cigarettes, le tout en guise de punition et de passage aux « aveux ». « Quand ils m’ont fait entrer dans la prison, j’ai senti la torture. C’est une odeur particulière faite d’humidité, de sang et de sueur, l’odeur de la torture », affirme un avocat d’Alep qui a passé deux ans à Saydnaya.

Passé l’interrogatoire, l’enfer se poursuit. Les détenus se retrouvent en cellules surpeuplées (ils sont parfois obligés de dormir à tour de rôle ou accroupis), insuffisamment nourris, sans réels soins médicaux ni sanitaires adaptées, d’où la multiplication des cas de gale et autres maladies.

Un ancien détenu raconte qu’un jour la ventilation a cessé de fonctionner à la section 235 du service de renseignement militaire. « Ils ont commencé à nous donner des coups de pied pour voir qui était vivant et qui ne l’était pas. Ils nous ont ordonné, à moi et à l’autre personne vivante, de nous lever […] C’est alors que j’ai compris que sept personnes étaient mortes, que j’avais dormi aux côtés de sept cadavres […] [Par la suite,] j’ai vu les autres corps, environ 25, dans le couloir. »

Une campagne pour interpeller le monde

En 2013, « César », le photographe déserteur de l’armée syrienne, avait montré aux yeux du monde plus de 50 000 photos prises entre mai 2011 et août 2013 sur lesquelles figuraient les corps de 6 786 personnes torturées à mort dans les prisons du régime.

Aujourd’hui, pour que nul ne puisse dire qu’il ignore l’infamie qui se déroule derrière les murs des prisons syriennes et principalement celle de Saydnaya, une reconstruction virtuelle en 3D des bâtiments a été réalisée par Amnesty International, en partenariat avec une équipe de spécialistes de Forensic Architecture. Pour la première fois, il est ainsi possible d’entrevoir la barbarie qui y règne, et cela par le biais d’outils de modélisation acoustique et architecturale ainsi que par les témoignages d’anciens détenus ayant survécu à l’enfer.

En Syrie, depuis des décennies, le recours à la torture est l’apanage des autorités envers les opposants. Aujourd’hui plongés dans une guerre qui a fait plus de 300 000 morts, les civils soupçonnés d’être contre le régime sont aussi torturés, jusqu’à la mort trop souvent. Un crime contre l’humanité qui tarde à être l’un des arguments nécessaires pour enfin trouver une solution au conflit.

RFI

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