mardi 9 août 2016

"Pour lutter contre le terrorisme, il faut créer des prisons spécialisées"

La surpopulation carcérale favorise la radicalisation. Isoler les détenus les plus dangereux est-il "la" solution pour lutter contre ce fléau ? Entretien.

Dans la prison de Nîmes.  

La surpopulation carcérale, véritable serpent de mer de la politique pénitentiaire, est au cœur de l'actualité estivale avec la visite, par Manuel Valls et le garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas, de la maison d'arrêt de Nîmes, l'une des plus surpeuplées de France.



D'après la contrôleure générale des lieux de privation de liberté Adeline Hazan, la surpopulation « crée une emprise des plus forts sur les plus faibles » et constitue « l'une des causes de la radicalisation des esprits ».

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D'où l'idée, défendue notamment par Emmanuel Gauthrin, secrétaire général du syndicat SNPFO, de créer des établissements dédiés aux détenus incarcérés pour des infractions liées au terrorisme.

Stéphane Jacquot, ancien secrétaire national de l'UMP et auteur de Prison. Le choix de la raison (coécrit avec Dominique Raimbourg) y souscrit également. Entretien.

Le Point.fr : Le placement sous bracelet électronique d'Adel Kermiche ne l'a pas empêché d'assassiner le père Hamel à l'église de Saint-Étienne-du-Rouvray. Au contraire… Est-ce un aveu d'échec de la justice ? Du politique ?

Stéphane Jacquot : La question n'est pas de reporter la faute sur tel acteur judiciaire ou politique, sur la gauche ou sur la droite, mais de trouver la solution la plus efficace dans un « État d'urgence » avec un « E » majuscule.

Face au terrorisme, il faut repenser notre justice, modifier notre arsenal pénal. Dès lors qu'une personne a une fiche S ou qu'elle est mise en examen pour une infraction à caractère terroriste, le placement sous bracelet électronique ne devrait pas être possible.

Dans ce contexte, l'enfermement me paraît indispensable, et c'est là tout le rôle de la prison que de protéger la société civile de ceux qui portent le plus gravement atteinte à ses valeurs et à ses membres.

La prison est aussi un lieu de réinsertion. Et même, avant cela, de prévention de la radicalisation. Or, elle est devenue un terreau de recrutement de petits délinquants…

La prison est en effet un lieu de radicalisation où prêchent les recruteurs de Daech, qui repèrent les plus vulnérables et leur proposent, une fois libérés, de partir combattre en Syrie où ils trouveront un nouveau sens à leur vie.

Il faut commencer par repérer les détenus radicalisés ou en voie de l'être, et nous avons besoin à cette fin d'agents de l'État qui se consacrent réellement au renseignement dans toutes les prisons de France.

Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Je suggère de doter le ministère de la Justice d'un office central du renseignement pénitentiaire ; cela permettrait de professionnaliser des personnels déjà rompus à la gestion de publics difficiles et qui ne demandent qu'à intégrer la communauté du renseignement. Il y a dans nos prisons une somme d'informations inexploitées qui pourraient nous permettre d'anticiper et d'empêcher la commission du pire…

Quelle serait la mesure idéale pour prévenir les attentats ?

Je pense que, face au terrorisme, il faut créer des prisons spécialisées, séparées des structures pénitentiaires « ordinaires », et un régime de détention dédié.

On a adopté cette approche criminologique pour les personnes coupables de crimes et de délits sexuels, qui bénéficient d'un régime de détention spécifique. Pourquoi ne pas l'adopter pour les personnes prévenues ou condamnées pour des actes terroristes ?

De cette manière, les normes européennes qui s'appliquent au régime de détention ordinaire ne s'appliqueraient pas dans ce contexte.

Vous pensez, par exemple, au droit à l'information des détenus, qui n'aurait pas lieu d'être au sein de ces établissements ?

Tout à fait. Ce droit ne peut que favoriser les démarches de radicalisation et les passages à l'acte. Mais il y a aussi le droit au maintien des liens familiaux. Dans ce cadre précis, ces liens devraient être temporairement coupés.

Ne redoutez-vous pas que l'on se dirige alors vers un Guantánamo à la française ?

Ce n'est pas le cas ! Le droit à la dignité et les autres droits de la personne ne souffriraient d'aucune exception. En outre, ces détenus seraient pris en charge en se voyant proposer des parcours de déradicalisation.

Qu'en serait-il justement de leur prise en charge et de leur réinsertion ? Les quartiers de déradicalisation sont-ils la panacée ? Comment lutter contre le lavage de cerveau des plus faibles au sein même des prisons ?

La réinsertion n'est possible qu'à partir du moment où la personne n'est plus considérée comme dangereuse. À cet égard, je préconise de réinstaurer, pour ces populations, le diagnostic à visée criminologique (DAVC), qui avait été supprimé par Christiane Taubira, afin d'évaluer la dangerosité des détenus.

Donc, tant qu'un détenu est considéré comme « dangereux », il doit être maintenu sous ce régime de détention spécifique. Quant à la réinsertion, elle doit passer en effet par la déradicalisation et celle-ci doit se faire en lien avec l'aumônerie musulmane. L'aumônier devrait être doté d'un statut pénitentiaire équivalant à celui de l'aumônier militaire afin de garantir un contrôle de l'État sur les nominations.

Pour lutter contre le lavage de cerveau des plus faibles, il faut justement éviter de mélanger les plus « vulnérables » ou « influençables » avec les plus radicalisés, d'où la nécessité de lancer rapidement un établissement dédié pour détenus en lien avec le terrorisme.

Construire un établissement dédié, cela peut prendre des années…

En effet, et pour éviter ce délai, je propose de requalifier l'ancien centre de jeunes détenus de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis (actuellement vide), qui a une capacité d'accueil de 450 places, en établissement spécialisé pour détenus en lien avec le terrorisme.

Notre pays serait ainsi doté immédiatement d'un établissement proche de Paris et du parquet antiterroriste, bien protégé, d'une capacité souple, adaptable et totalement séparé des autres catégories de personnes détenues.

Le Point

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