vendredi 4 décembre 2015

Contre la radicalisation en prison, le gouvernement prend-il les bonnes mesures ?

Pour lutter contre la radicalisation en prison, le gouvernement veut regrouper les détenus radicaux dans des quartiers spéciaux, et engager plus d’aumôniers musulmans. Des mesures que Karim Mokhtari, qui s’appuie sur son expérience d’ancien détenu embrigadé en prison, juge insuffisantes.
 
 
De Mohammed Merah à Amedy Coulibaly en passant par Chérif Kouachi ou Abdelhamid Abaaoud, ces terroristes ont tous connu la radicalisation en prison.

Pour lutter contre ce phénomène, le gouvernement a annoncé une une série de mesures visant notamment à regrouper les détenus radicaux dans des quartiers à part mais également à engager plus d’aumôniers musulmans.

La maison d’arrêt de Fresnes est la première à expérimenter ce système, qui repose en partie sur le signalement des individus jugés radicaux par le personnel pénitentiaire, sans obtenir les résultats escomptés. Le signalement lui-même porte à débat, au sein même du personnel de la prison, puisque la définition du radicalisme est floue. Un membre du personnel soignant de cette maison d’arrêt estime que cette demande de signalement est aussi une mauvaise idée, parce qu’il n’a pas suffisamment de notions sur le prosélytisme religieux pour le faire : “Je ne vais pas signaler un homme seulement parce qu’il a une barbe et un Coran dans la main, ça serait de la délation. Les propos radicaux ne sont pas tenus devant nous, mais pendant les promenades.”
 
“Parmi les 23 détenus signalés à Fresnes, aucun n’est allé voir un psy, aucune association n’est venue les rencontrer, aucune activité ne leur est proposée et ils n’ont pas d’obligation de soins” affirme un membre du personnel soignant de Fresnes.

Le regroupement de ces individus, annoncé par le gouvernement est aussi à nuancer, puisqu’il n’entraîne pas, ou peu, d’isolation. A Fresnes, les individus considéré comme radicaux, ne sont pas dans une division à part mais à l’étage d’un bâtiment où d’autres détenus “lambda” purgent leur peine. “Ils sont détenus dans des cellules identiques à celles des autres, avec des fenêtres, ce n’est pas le mitard. Ils peuvent communiquer facilement avec d’autres prisonniers en criant, ou en envoyant des messages par les fenêtres grâce à une corde qu’ils fabriquent et à laquelle ils accrochent un mot. On appelle ça le yo-yo”, affirme un membre du personnel soignant. Il ajoute qu’ils ne pourraient pas les isoler puisqu’il n’y a ni places libres, ni moyens mis en place par l’état : “nous manquons de moyens, les détenus sont déjà trois par cellule”.
Donner un sens à sa détention

Pour mieux comprendre ce processus de radicalisation, nous avons rencontré Karim Mokhtari qui a passé plus de 6 ans en prison et qui raconte cette expérience dans le livre Rédemption.

Son itinéraire débute en 1995, année noire pour la France,  touchée par une vague d’attentats, notamment à la station de RER Saint-Michel. C’est dans ce contexte que Karim Mokhtari est approché, un an plus tard, par un “imam autoproclamé”, à la prison d’Amiens. Profitant de l’absence d’un aumônier musulman sur place, l’homme s’est rapproché des détenus issus de l’immigration et de culture maghrébine dans le but de les pousser à la radicalisation .

“Ceux qui étaient déjà musulmans, devaient prier avec lui, et ceux qui ne l’étaient pas devaient se convertir”, explique Cet “imam” avait un discours bien rodé, critiquant les détenus. “Il nous faisait culpabiliser sur notre mode de vie, nos tenues vestimentaires, les cigarettes, les tatouages…” Tout le contraire de la vie qu’un “bon musulman” devrait avoir.

Karim, comme beaucoup d’autres détenus, cherche à racheter ses crimes, mais cette quête de rédemption alimente chez certains une colère grandissante, contre la société, la France, et ses institutions. Leur nouvelle vie derrière les barreaux, à huis clos, devient vite insupportable. “En se convertissant, on a l’impression de donner un sens à notre peine de prison. On vous tend la main en vous disant que Dieu pourra pardonner nos actes.”

Le phénomène de radicalisation observé à la prison d’Amiens s’insère dans cette dynamique. Les prisonniers ne se voyaient plus comme des coupables, qui regrettaient leurs actes et assumaient leurs peines d’emprisonnement, mais comme des victimes. Derrière ces murs, on affirmait à Karim et à d’autres détenus (une trentaine), que ceux qui les avaient emprisonnés étaient des “mécréants”.
 
La rédemption
Après six mois d’embrigadement, Karim a décidé d’arrêter de fréquenter cet imam. “Il disait qu’il fallait défendre l’islam en tuant des mécréants. Je voulais devenir croyant pour canaliser ma violence, et lui me proposait plus de violence. Ce n’était pas l’islam que je recherchais”, confie Karim. L’islam, le vrai, ne peut pas y être étudié,  la prison rendant très difficile son apprentissage. L’emprise des radicaux doit être rapide, pour toucher le plus de détenus, y compris ceux qui sont emprisonnés pour une courte période, et ceux qui vont être transférés ailleurs.
 
Karim, comme la plupart des détenus embrigadés, n’était pas arabophone. On leur apprenait à lire en phonétique, mais les prières étaient récitées sans les comprendre, les gestes imités. Uniquement pour “appartenir au groupe”. A l’époque, le personnel pénitentiaire avait laissé faire, jusqu’au moment où les radicaux ont étendu leur influence sur une trentaine d’hommes. Et quand Karim a été transféré dans une autre prison, l’imam a voulu garder le contact, et lui a demandé d’aller faire le djihad au Pakistan.

Le radicalisme aujourd’hui
Si Karim a été séduit par le discours de ce détenu charismatique, il y a près de vingt ans, c’est parce qu’il s’est reconnu dans cet homme, lui aussi d’origine maghrébine. Aujourd’hui encore, le procédé d’identification est un moyen d’obtenir la confiance d’un autre détenu rapidement.

La radicalisation en prison est désormais un phénomène connu, mais les méthodes de recrutement ont changé. Karim Mokhtari, qui se rend aujourd’hui dans des prisons pour débattre avec des détenus, observe une nouvelle vague de radicaux. Les convertis, qui “lisent énormément de textes sacrés, mais qui sont extrêmes dans la façon de les comprendre”, approchent d’autres jeunes Français, chrétiens ou athées, qui s’identifient plus facilement à eux.

Des solutions inadaptées

Ces nouvelles recrues sont plus difficilement identifiables parmi les autres détenus, et les radicaux d’origine maghrébine se cachent, rasent leur barbe pour se fondre dans la masse. Ils savent que le personnel pénitentiaire est maintenant apte à dénoncer les dérives liées à la religion à leur hiérarchie, sans avoir eu de formation sur l’Islam et la radicalisation au préalable. Karim évoque ainsi le cas d’hommes qui ont été signalés comme des radicaux, parce qu’ils avaient le Coran dans leurs cellules, ou parce qu’ils portaient la barbe. C’est ce que confirme un membre du personnel soignant de la prison de Fresnes, qui considère que “les plus discrets sont les plus dangereux”

Selon Karim, on ne peut pas mesurer le taux de radicalisation d’un individu, et on ne peut pas être certain que ceux qui sont regroupés soient tous des islamistes radicaux. Ce procédé ne « donne aucune chance à ceux qui ne sont pas extrémistes de ne pas se radicaliser, en donnant toutes les chances aux radicaux de prêcher leur haine ».

Ouvrir le dialogue

L’ancien détenu, libéré en 2002, organise depuis des réunions en prison, et se bat pour donner un espace de parole aux prisonniers. Entre quatre murs, “il ne peuvent pas confronter leurs idées, et ainsi remettre en cause le supposé bien fondé du djihad”. Bien souvent, les détenus radicalisés ne connaissent pas les autres religions, Karim propose donc un dialogue inter-religieux, pour prouver que ceux qu’ils considèrent comme des “mécréants”, ne sont que de simples croyants. Comme eux. Il prône aussi pour la formation du personnel pénitentiaire, mais aussi celle des aumôniers, qui devraient, selon lui, être “formés par la communauté musulmane française“, car la majorité des détenus ne sont pas arabophones, et surtout parce qu’ils “doivent parler de l’actualité française avant de parler de celle de la Syrie ou de la Turquie”.

Des aumôniers bénévoles
Selon les chiffres du ministère de la Justice, 193 aumôniers musulmans travaillent dans les prisons françaises...
 

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