En prison, la gestion des détenus radicalisés est une question extrêmement complexe qui s’inscrit dans un contexte carcéral difficile.
Au mois de janvier dernier, Manuel Valls annonçait la création de quartiers spécifiques en prison pour les détenus radicalisés. Quatre verront le jour au début de l’année 2016.
Dès le départ, la Garde des Sceaux, Christiane Taubira, avait émis de fortes réserves quant à la généralisation du dispositif.
L'Observatoire International des Prisons (OIP) y est également farouchement opposé. Regrouper pour simplement surveiller de très près, « c'est passer à côté du plus important, à savoir la prise en charge », commente Sarah Dindo, directrice de publication de l'OIP.« C'est un système de politiques d'affichage. Les politiques font de la com', ils veulent montrer qu'ils assurent pour répondre à la peur des gens ». Le risque, c'est de« produire de l'insécurité ». Surtout si« on n’analyse pas finement »les choses, insiste Sarah Dindo.
Djihadistes de retour de Syrie; condamnés pour des faits de délinquance ordinaire, soupçonnés d'être en voie de radicalisation; individus condamnés pour apologie du terrorisme dont les cas se multiplient depuis janvier; ou encore islamistes radicaux condamnés pour des faits de « terrorisme » : pour l'heure, la réponse n'est pas claire.
« Les regrouper, cela revient à leur offrir un stage de perfectionnement », critique Ahmed El Hoummass, secrétaire régional de la CGT pénitentiaire pour l'Ile-de-France. « Ce sont des bombes à retardement que l'on crée. » Pour accueillir tous les détenus perçus comme radicaux, « il faudrait doubler le bâtiment ! Il y a cent fois plus de radicaux en détention normale qu'en quartier spécial »commente le représentant syndical.
En prison, les radicaux sont plus respectés ils font partie du haut de la hiérarchie instaurée
Il travaille comme surveillant à Fresnes depuis 2003, où une vingtaine d'individus sont en quartier dédié depuis octobre 2014, à l'initiative du directeur de la maison d'arrêt. Ni le ministère de la Justice, ni l'administration pénitentiaire n'en avaient été informés. A l'époque, l'idée n'était pas tant de « déradicaliser », mais plutôt de protéger la majorité des détenus de pressions exercées au quotidien par ces leaders charismatiques, influents ou prosélytes.L'un des risques, soulève Ahmed El Hoummass, c'est que cela devienne « attirant » d'afficher un profil radical, ou que cela confère un certain statut. En prison, les radicaux sont plus respectés ils font partie du haut de la hiérarchie instaurée mais surtout, au sein du quartier dédié,« leurs conditions d'incarcération sont bien meilleures »explique le représentant
syndical. Ils bénéficient en outre d'une cellule individuelle alors qu'en détention ordinaire, les prisonniers sont« entre trois et quatre par cellules de 9 à 12 m2, avec les toilettes sans portes à l'intérieur, fumeurs et non fumeurs mélangés ». Une situation très répandue dans les maisons d'arrêt, surpeuplées, puisqu'elles accueillent les détenus condamnés pour de courtes peines (inférieures à un an), qui représentent jusqu'à un tiers des détenus.
« Le vrai radical ne va pas se montrer » tempère néanmoins Ahmed El-Houmass.« Les plus déterminés ne vont pas porter la barbe et la djellabah ». Avec sous sa responsabilité« 90 à 110 détenus », le surveillant « consacre, en moyenne, 45 secondes par jour par détenu ». C'est donc« très dur »de les repérer. Surpopulation carcérale, sous-effectifs, conditions de détention déplorables... La gestion de l'islam radical en prison s'intègre dans un contexte carcéral déjà extrêmement difficile.
Début décembre, plusieurs syndicats pénitentiaires ont obtenu du ministère de la Justice la création de 1100 postes supplémentaires, dont 950 postes de surveillants. Un accord signé par la garde des Sceaux lundi 14 décembre, qui clôt le conflit social l'opposant aux surveillants de prison depuis deux mois. Le 22 octobre, ils étaient quelques 3 000 à manifester sous les fenêtres du ministère pour dénoncer le manque de moyens humains et matériels et la dégradation de leurs conditions de travail.
"Ce type de programme de déradicalisation« existe déjà en Allemagne depuis cinq ans" confie Ouisa Kies
« C'est plus facile d'obtenir des crédits en temps de crise »reconnaît Stéphane Barraut, secrétaire général adjoint de l'UFAP – UNSA. « Avec les attentats du 13 novembre tout s'accélère » explique le représentant syndical qui regrette que l’on réagisse « à chaque fois dans l'urgence ». Toutefois, sur le plan sécuritaire,« strictement rien n'a été fait »sur le terrain depuis l'instauration de l'état d'urgence, ajoute-t-il, dénonçant le fait que « les prisons ne sont pas plus surveillées qu'avant ».Autre défi : la grille de détection des individus radicalisés ou en voie de radicalisation à destination du personnel de l'administration pénitentiaire date de 2008. Elle est actuellement en cours de révision. Il faut éviter de « faire l'amalgame entre le processus de radicalisation qui va dans le sens d'un passage à l'acte violent, et une pratique rigoriste de la religion » insiste Ouisa Kies, sociologue rattachée à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales.
Depuis le mois de janvier 2015, elle dirige un programme « recherches- action », en partenariat avec l'association « Dialogues Citoyens ». Cette initiative n'a pas de lien direct avec les attentats de janvier puisque l'appel d'offre public auquel elle a répondu avait été lancé en 2014. Une quinzaine de détenus participent, sur la base du volontariat, à ces programmes de deux mois organisés sur deux sites pilotes, les prisons de Fleury Mérogis et d’Osny. Encore en cours d'expérimentation, ce type de programme de déradicalisation« existe déjà en Allemagne depuis cinq ans » confie Ouisa Kies. Cinq programmes “recherches actions” ont à présent été lancés par le gouvernement, pour une enveloppe d’un million d’euros. Ils se basent en grande partie sur le parcours individuel des détenus radicalisés et la mise à disposition d'espaces de dialogue où chacun s'engage à respecter les avis contraires. «« L'objectif n'est pas de désenvoûter les individus radicalisés, de leur faire un lavage de cerveau en développant un contre-discours ou en plaquant une autre vision du monde, explique Ouisa Kies,mais plutôt d'offrir une alternative à la violence ».
Article écrit pour le magazine "Etat d'urgence", un hors-série réalisé par les étudiants de l'Ecole de Journalisme de Sciences-Po Paris
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