Entre les récentes mutineries, le nombre record de détenus (68 569) enregistré en juillet, la réforme pénale de Christiane Taubira, sans oublier la série événement " Orange is the new black"… le système pénitentiaire est au cœur de l’actualité en cette rentrée. Pour comprendre comment se passent les choses de l’intérieur, rencontre avec Claudine, 50 ans, surveillante depuis près de 20 ans dans une prison pour femmes
Pourquoi avez-vous décidé d’exercer ce métier ?
J’ai toujours été très attachée à la notion de justice et je voulais travailler au contact de personnes. Comme je ne me voyais pas dans le commerce, ni dans des bureaux… cela s’est naturellement imposé à moi.
Quel est votre parcours professionnel ?
Pour entrer dans l’administration pénitentiaire, il faut avoir 19 ans, un casier judiciaire vierge et son brevet des collèges. De mon côté, j’ai passé mon Bac puis j'ai étudié à la fac en licence d’administration économique et sociale (AES) avant de passer le concours de l’ ENAP (l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire). En 1989, à l’âge de 25 ans, j’ai découvert pour la première fois la prison en tant qu’élève-surveillante. Cela fait 20 ans maintenant que je travaille dans un centre pénitentiaire. Chaque centre comprend notamment une maison d’arrêt, pour les personnes pas encore jugées ou les courtes peines et un centre de détention pour les détenus qui ont été condamnés à de plus longues peines.
En quoi consiste le métier de surveillante ?
Le premier aspect c’est d’assurer la surveillance des détenues et de garantir la sécurité dans la prison. Puis, nous gérons tout ce qui a trait à la vie quotidienne : les repas, le courrier, les promenades, les fouilles, les parloirs… Enfin, l’aspect humain du métier s’impose aussi à nous. On a aussi un rôle de conseil. On se doit d'observer les comportements des détenues, signaler les situations de détresse et être capable d’administrer les premiers soins.
Les femmes peuvent-elles travailler dans une prison pour hommes et inversement ?
Oui, il y a des surveillantes femmes dans les prisons pour hommes, mais aussi des hommes dans les prisons pour femmes. Dans l'établissement pour femmes où je travaille, je constate que les hommes sont statistiquement plus présents chez les surveillants gradés, les techniciens, les professeurs, les éducateurs et les médecins.
A quoi ressemble une journée type ?
Le matin, après le petit-déjeuner, on commence par ouvrir les portes des détenus qui travaillent, qui vont en cours, faire du sport, à l’aumônerie ou à des rendez-vous administratifs ou judiciaires. Ce sont des allées et venues incessantes, car les horaires diffèrent d’une activité à l’autre. On doit aussi fouiller les cellules, puis contrôler les retours avant la distribution du repas du midi. L'après-midi les portes sont ouvertes jusqu'à 19h30. Les déplacements reprennent jusqu’au repas du soir. Durant la journée, la surveillante a plusieurs casquettes : Elle peut être à l'infirmerie, à la cuisine, surveiller des ateliers ou des cours en tout genre, gérer les parloirs, le vestiaire… Elle doit tout savoir faire.
Il y a combien de détenues pour combien de surveillantes ?
En centre de détention, c’est une surveillante pour 40 détenus. En maison d’arrêt, il y a beaucoup plus de détenues par surveillant. Mais les prisonnières passent beaucoup plus de temps enfermées dans la journée. Au moment de la promenade cela peut aller jusqu'à cent détenues pour une surveillante.
Quel aspect de votre travail préférez-vous ? Aimez-vous le moins ?
Ce que je préfère, c’est observer la nature humaine, l'influence des fréquentations, les changements de comportements, les dominants, les dominés, les réactions, les attitudes… Que ce soit pour les détenues aussi bien que les surveillantes ou la hiérarchie ! Ce que j'aime le moins, c'est le fait que les détenues ont de plus en plus tous les droits et que les surveillantes n'ont que des devoirs.
Vous renseignez-vous sur le passé des détenues ?
Avant on avait accès à leur dossier, mais j'y ai vu des choses tellement atroces que je n'ai plus voulu savoir car cela m'empêchait de travailler de manière impartiale. Aujourd’hui, je ne veux pas savoir, et de toute façon les dossiers sont devenus confidentiels. Le souci désormais c’est que de plus en plus d’affaires sont médiatisées.
Avez-vous déjà noués des liens d'amitié avec des prisonnières ?
Rester professionnel, c'est justement éviter ce genre de choses. Donc pour moi ce n’est pas possible.
Est-ce que les détenues se confient parfois à vous ?
Cela arrive mais je suis vigilante car on peut vite se faire manipuler.
Les détenues ont-elles accès à internet ?
Oui, mais sous surveillance dans le cadre de cours.
Comment gérez-vous les relations amoureuses en prison ?
Je ne "gère" pas les relations amoureuses, pour cela il y a les unités de vie familiales (UVF) où les détenues peuvent recevoir leur famille pendant quelques jours dans des pavillons aménagés (pour les centres de détentions, les longues peines).
Avez-vous déjà eu peur dans l'exercice de votre métier ?
Cela m'est arrivé d'appréhender certaines situations, notamment les menaces des détenues et leur agressivité physique. Un jour, l’une d’entre elles m’a menacé avec une casserole d’eau bouillante.
Vous arrive-t-il de surveiller le mitard ou quartiers de haute sécurité ?
Le quartier disciplinaire est en voie de disparition. Aujourd’hui, on privilégie l' isolement en cellule.
Quel est votre meilleur souvenir professionnel ?
Le jour où l'on m'a annoncé que j'étais major de la promotion à l'ENAP (l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire). A cette époque j'étais pleine d' illusions... mais ça, c'était avant.
Votre pire souvenir ?
Le jour où j’ai vu une surveillante stagiaire laver le vomi d'une détenue sur ordre d'un gradé.
Avez-vous été confrontée au suicide en prison ?
Oui, j’ai déjà découvert deux détenues qui venaient de se suicider dans leur cellule. Mais il y a aussi des suicides chez les surveillants. On n’en parle jamais. On ne s'inquiète pas de savoir dans quel état psychologique un agent rentre chez lui après un suicide ou une agression. La prison est faite de situations éprouvantes. J’ai déjà assisté à des mutineries, des passages à tabac…
Quels sont vos horaires de travail ?
Mon cycle est toujours le même : les deux premiers jours nous travaillons du soir (12h45-20 heures) puis le troisième jour du matin (6h45-13 heures) avant de rentrer chez moi l’après-midi puis de passer la nuit à la prison (20h-7 heures). Avant d’avoir deux jours de repos. Mais ces jours de congés tombent le plus souvent en semaine, et nous n’avons qu’un week-end toutes les cinq semaines. Ce qui explique l’isolement que ressente beaucoup d’agents pénitentiaires. Nous travaillons souvent quand les gens sont en congés et nous sommes enfin disponibles quand nos amis et nos familles travaillent…
Quel est votre salaire ?
Mon salaire est variable en fonction des week-ends et des nuits effectuées mais tourne autour de 1 800 euros. Il comprend une prime de sujétion spéciale d'environ 400 euros versée en compensation des cycles de travail de nuits, les dimanches, les jours fériés et du contact avec la population pénale.
A votre avis que faudrait-il pour améliorer les conditions de vie des prisonniers et du personnel ?
Pour ma part, je pense que le principal souci en prison, c’est que les détenues ont accès à beaucoup de choses auxquelles elles n’auraient pas droit à l’extérieur, ce qui fragilise après leur réinsertion. Le système pénitentiaire actuel encourage l’assistanat. Tout est disponible au centre de détention : de la nourriture, du travail et des cours de guitare ou de sports. Les détenues ont des cellules qui ressemblent à de petits studios individuels avec leur télévision, frigo, ordinateur... A chaque repas, c’est entrée, plat, fromage, dessert, alors que je connais des étudiants à l’extérieur qui dorment dans leur voiture et ne font pas trois repas par jour. En ce qui concerne le personnel, il faudrait une meilleure prise en considération de notre travail, des moments de paroles et d'échanges, des débriefings réalisés par des professionnels de santé et le rétablissement de l'autorité de l'agent par la réintroduction de la discipline. Sans oublier, plus de personnel dans les maisons d’arrêts où les surveillants sont en sous-effectif constant. On a besoin de se sentir en confiance et appuyé en toutes circonstances par notre hiérarchie.
S'il y avait des choses à refaire que ne referiez-vous pas ?
Je crois qu’au lieu d’être surveillante, je serais devenue éducatrice ou professeur.
Vous sentez-vous parfois vous-même en prison ?
Après 20 ans de métier, je me pose parfois la question de combien d’années fermes cela représente. Plus le temps passe et plus je ressens ce sentiment d’enfermement. Plus précisément, je ne me sens pas libre.
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