L'ancien procureur de la République de Nice est depuis juillet dernier à la retraite mais il n'a pas tourné le dos à la justice. Eric de Montgolfier a conservé un regard critique, amusé et grave sur l'institution, la vie politique et la société.
Que vous inspire le dramatique fait divers du bijoutier niçois?
Ce n'est pas le premier de cet ordre. On voit bien à chaque fois la difficulté pour l'opinion publique à équilibrer le besoin légitime de protection des personnes et des biens avec le respect de la légalité. On peut comprendre la situation d'un commerçant attaqué, menacé, parfois violenté. Mais il faut aussi accepter l'idée que la loi n'autorise pas tout, et en l'espèce la vengeance privée.
Se défendre est-il un crime?
Se défendre peut être un crime. Tout dépend des circonstances dans lesquelles on se défend. Et tout dépend de la réponse que l'on apporte à la violence dont on est l'objet. C'est la loi elle-même. Je ne crois pas qu'un citoyen puisse se permettre de la discuter sauf à ouvrir la porte à des systèmes dans lesquels chacun pourrait s'armer et choisir sa réponse en fonction de ce qu'il croit plus que de ce qu'il doit.
La réponse du bijoutier n'est-elle pas l'illustration finalement d'une certaine exaspération face à l'absence de réponse de l'Etat?
Je n'accepte pas l'idée justement que les insuffisances qui peuvent apparaître légitimeraient que chacun rende sa propre justice. C'est vrai qu'il y a une responsabilité collective à assurer la sécurité. Mais je vois bien que tous les systèmes mis en place ces dernières années n'y suffisent pas. Et parce qu'il y a dans notre société une violence qui exaspère et qui augmente de plus en plus. Il faut avoir à l'esprit que la répression n'est pas la seule réponse. Des mesures de prévention sont nécessaires. La présence dissuasive des forces de sécurité est essentielle plus que les moyens mécaniques multipliés ici ou là.
Le bijoutier a été mis en examen pour homicide volontaire, il échappe pourtant à la prison. N'y a-t-il pas quelque chose de curieux dans cette décision?
Je ne commente pas les décisions surtout quand elles sont prises par les autres. On a assez commenté les miennes parfois de manière désagréable. Encore une fois, tout est question de circonstances. Vous ne pouvez pas à travers un cas particulier poser une règle aussi générale qui permettrait à chacun de se faire le juge de sa propre cause.
À droite, les élus Ciotti et Estrosi réclament plus de sévérité contre les délinquants? Est-ce le vrai sujet et ont-ils raison?
A chaque fois, le discours public a montré ses limites. La répression existe dans notre pays. Comment se fait-il que les prisons sont pleines ? On n'arrête pas de présenter les magistrats comme d'effroyables laxistes qui laissent tout faire. Il faut arrêter à chaque fois de hurler avec les loups. La responsabilité politique, ce n'est pas de suivre mais d'expliquer, de devancer, de corriger les excès de l'opinion publique et pas de l'accompagner de grands cris qui ont une vocation... électoraliste.
Les politiques surfent donc sur la vague d'émotion?
C'est tellement récurrent ! D'une manière générale, et partout où je suis passé, j'ai vu la même chose. C'est une déviation de l'action politique.
La réforme pénale contre la récidive dessinée par Christiane Taubira va-t-elle dans le bon sens?
Le sujet de la récidive est difficile. J'ai un peu peur qu'on le majore certaines fois. On avait fait des peines planchers un obstacle à la récidive. Je ne crois pas que le succès de la réforme soit tel que l'on puisse se battre autour d'elle, pour ou contre d'ailleurs. La justice est hélas ! un tâtonnement perpétuel contre la délinquance avec, il faut bien l'admettre, toujours un temps de retard. Chaque fois que nous avançons dans la répression, la délinquance avance dans l'inventivité.
La probation, ça marche? Ça peut marcher. Est-ce qu'il y a une seule recette?
Il faudra bien sûr trouver une solution. Je suis étonné de voir que les opposants à la probation, qui accusent la ministre de laxisme, ne sont pas forcément ceux qui, localement, défendent l'installation d'une prison plus moderne, avec plus de places... Les citoyens ne veulent pas d'une prison, ils ont envie qu'on y mette les gens. La prison est un instrument. On ne peut pas y mettre tout le monde et pour n'importe quoi.
Que faudrait-il faire: multiplier le bracelet électronique, le travail d'intérêt général?
Il faut cesser de considérer la prison comme le premier de tous les moyens. La prison est faite pour mettre à l'écart des gens qui violent les règles sociales dans des conditions dangereuses. On l'use, on en a usé et on continue d'en user un peu inconsidérément. Il faut revenir à une approche raisonnable de l'utilisation de l'emprisonnement. A force d'en abuser, on la prive de son sens.
Que pensez-vous de la méthode Taubira?
Christiane Taubira est un bon garde des Sceaux. Elle a une véritable envie de réforme, elle est fidèle à un certain nombre de convictions et à des principes que je reconnais comme des principes judiciaires. Parmi les vingt-deux gardes des Sceaux que j'ai connus depuis mon entrée dans la magistrature, c'est sans doute l'un des meilleurs.
Par rapport à ses prédécesseurs, qu'a-t-elle en plus?
Des convictions sans doute, moins politiques que judiciaires. Elle a une envie réelle de transformer la justice, de l'adapter à la société d'aujourd'hui et non pas simplement d'en faire un instrument d'une politique. Ce que ses prédécesseurs, souvent, ont fait.
On ne peut pas dire que vos relations avec Christian Estrosi furent toujours très bonnes. Qu'est-ce qu'il représente que vous ne supportez pas chez le politique?
L'abus de mots. La politique, c'est une action. Il déforme la vision même que je puis avoir de la politique et que je vis comme quelque chose de noble, d'important, d'essentiel.
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