C’est le chiffrage du projet de loi Taubira. Sans les "arbitrages", ces libérations auraient été multipliées par trois.
"Selon nos estimations, avec ces derniers arbitrages, deux à trois mille personnes seront libérées de prison par an", confie au JDD un conseiller du ministère de la Justice. Le chiffre fera sûrement bondir, notamment à l’UMP, ceux qui dénoncent depuis vendredi un projet de loi pénale "laxiste". Mais ces libérations, aux deux tiers de leur détention, concerneront exclusivement des personnes condamnées à des peines de moins de cinq ans de prison. Elles seront "libérées sous contrainte" et suivies par la justice le temps équivalent à leur séjour restant derrière les barreaux.
Autre chose certaine, cette estimation est largement inférieure aux premières simulations de la chancellerie sur la base du projet de loi initial. Au début de l’été, le texte prévoyant des libérations quasi automatiques de détenus aux deux tiers de leur peine (sauf dans les cas de présomption de récidive d’atteinte aux personnes) aurait concerné près de 10.000 personnes par an… "Avec l’Élysée et Matignon, on a évité le pire du projet Taubira, analyse pour le JDD Christophe Regnard, le président de l’Union syndicale des magistrats (USM), majoritaire chez les 8.000 magistrats (68,4 % aux élections de juin dernier). Les arbitrages ont radicalement transformé le projet de départ."
Le texte initial largement amendé
Un constat qui tranche avec les réactions de vendredi. Officiellement, depuis quarante-huit heures, Matignon et l’Élysée auraient "arbitré" la réforme pénale en faveur de Christiane Taubira. Le mot d’ordre politique est même de "ménager Christiane", très applaudie aux universités d’été des Verts et du PS. Dans les faits pourtant, la simple comparaison du projet initial de la Place Vendôme, fin juillet, et du texte finalisé vendredi démontre qu’il ne reste pas grand-chose de la mouture de départ. "C’est normal qu’il y ait eu des discussions interministérielles", pondère-t-on à la Justice."Concrètement, il ne reste qu’une seule chose des douze propositions de la conférence de consensus, analyse Christophe Regnard, la suppression des peines plancher, qui sont un échec en termes de lutte contre la récidive, et que nous demandions nous aussi. Pour le reste, toutes les corrections majeures sont celles que nous avions réclamées à l’Élysée, à Matignon et Place Beauvau cet été", se félicite-t?il. "Nous avons beaucoup parlé à ceux qui voulaient nous entendre, puisque avec Mme Taubira, c’est extrêmement difficile", ajoute Regnard. De fait, la dernière rencontre de la ministre avec le président de l’USM remonte à mars dernier.
La prochaine est prévue… ce lundi matin à 10 heures. Et promet d’être houleuse. L’USM peste d’avoir été écartée de la commission Nadal, en charge de la réforme du parquet. "On représente 75 % des magistrats du parquet et la chancellerie nous a exclu de cette commission!", s’indigne Regnard, qui soupçonne "une mesure de représailles". Il est vrai que, depuis trois mois, son syndicat fait le tour des conseillers, à Beauvau, à l’Élysée et Matignon, pour plaider les "dangers" de la réforme pénale initialement envisagée. "Le résultat est que nous avons un projet de loi plus réaliste et plus équilibré aujourd’hui", se félicite Regnard.
Le projet de loi soumis au Parlement l’an prochain
Dans le détail du projet de loi présenté vendredi par Jean-Marc Ayrault, l’USM a ainsi obtenu une mesure passée inaperçue : le durcissement d’un volet de la loi Dati de 2009. Ainsi les aménagements de peines empêchant la prison ne seront possibles que pour des condamnations inférieures à un an, et non plus deux ans (le délai passe de un an à six mois pour les récidivistes). Quant à la mesure de "contrainte pénale", qui remplace la "probation" initiale, là encore les bémols mis par le syndicat majoritaire ont été entendus : "la contrainte pénale ne s’appliquera que pour les délits passibles de moins de cinq ans de prison, les vols, les usages de stups, les violences simples… Cela représente une grosse partie des délits mais exclut toutes les circonstances aggravées, comme les bandes organisées, par exemple", explique Regnard. Cette "contrainte pénale", un système quasi identique à celui du sursis avec mise à l’épreuve actuel, restera à l’appréciation des juges. Autre mesure laissée à l’appréciation des juges, la libération aux deux tiers de leur peine des condamnés à moins de cinq ans de prison. "Dans le projet de juillet, cette libération était quasi automatique ; maintenant, c’est le juge d’application des peines qui décidera", se félicite Regnard, estimant qu’au final, avec un texte aussi encadré, "la montagne a finalement accouché d’une souris".Autre proposition annoncée : la mise en chantier d’un nouveau "code de l’exécution des peines" d’ici à deux ans. La justice, pour élaborer ce nouveau code, va devoir mettre ses procédures à plat. Un tel chantier, demandé depuis des mois par l’USM, aurait peut-être pu être engagé en premier…
Coté Place Beauvau, pas de commentaire négatif sur la réforme. Un signe aussi, les réactions des syndicats policiers sont globalement plutôt modérées. D’autant que le projet de loi, même si Christiane Taubira réclame qu’il soit "discuté dès que possible par la représentation nationale" (Le Monde de samedi), ne devrait être présenté en Conseil des ministres que le 2 octobre et sera soumis au Parlement… l’an prochain. Vraisemblablement après les municipales. D’ici là, les peines plancher resteront appliquées. Et aucun des 2.000 à 3.000 détenus potentiellement libérables ne sortira de prison…
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