Jérôme Cahuzac risque trois ans derrière les barreaux. Jugé pour fraude fiscale et blanchiment, l'ancien ministre du Budget pourrait passer par la case prison.
Les réquisitions du parquet de Paris sont-elles inhabituelles? Analyse avec un spécialiste.
Le parquet de Paris a requis mercredi trois ans de prison ferme à l'encontre de l'ex-ministre du Budget Jérôme Cahuzac pour fraude fiscale et blanchiment, estimant que c'était le juste prix de la "trahison" pour avoir sacrifié "tous les principes" à l'appât du gain.
La procureure a aussi demandé une peine de cinq années d'inéligibilité. Deux ans de prison ont également été requis à l'encontre de Patricia Cahuzac, son ex-épouse, qui, selon le parquet, a "surpassé" son mari "dans la dissimulation de ses avoirs au fisc".
En juin dernier, le Conseil constitutionnel avait validé la double peine et estimé que poursuites pénales et sanctions fiscales pouvaient être cumulées. Le couple s'était en effet déjà acquitté en 2013 de 2,3 millions d'euros au titre d'un redressement fiscal. La décision des Sages avait ainsi donné le feu vert au procès de l'ancien ministre.
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Que risque-t-on en cas de fraude fiscale?
Selon l'article 1741 du code général des impôts, "quiconque s'est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement total ou partiel des impôts (...) est passible, indépendamment des sanctions fiscales applicables, d'une amende de 500.000 euros et d'un emprisonnement de cinq ans". Une sanction qui peut, dans certains cas, être alourdie.
"Les peines sont portées à 2.000.000 d'euros et sept ans d'emprisonnement lorsque les faits ont été commis en bande organisée ou réalisés ou facilités au moyen de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d'organismes établis à l'étranger, de l'interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l'étranger."
Après le séisme de l'affaire Cahuzac, les sanctions avaient été durcies dans le cadre du projet de loi sur la transparence de la vie publique et la lutte contre la fraude fiscale. Les peines pénales avaient été alourdies, le délit de fraude fiscale en bande organisée créé et le délai de prescription allongé.
Une peine inhabituelle?
Si la loi prévoit en effet de lourdes peines, les réquisitions dans le procès de Jérôme Cahuzac, ancien héraut de la lutte contre l'évasion fiscale qui avait présidé la commission des finances à l'Assemblée nationale, sont pourtant exceptionnelles.
"Ces réquisitions sont tout à fait inhabituelles, remarque pour BFMTV.com Denis Brugère, avocat fiscaliste au barreau de Paris. On n'a jamais vu ça. C'est assez dur, les commentaires sont unanimes. Jusqu'à il y a quelques années, il était rarissime que des peines de prison ferme soient prononcées pour de la fraude fiscale. Car en matière pénale, il y a la peine maximale, puis l'usage et la pratique."
Pourtant, Jérôme Cahuzac n'est pas le premier. Récemment, une autre affaire de fraude fiscale a défrayé la chronique. Au printemps 2015, l'héritière de Nina Ricci -Alertte Ricci, qui a fait appel- a été condamnée à trois ans de prison, dont deux avec sursis, et un million d'euros d'amende pour une fraude fiscale portant "atteinte exceptionnelle au pacte républicain", selon le tribunal, qui l'accusait d'avoir caché au fisc plus de 18 millions d'euros.
De rares condamnations
Si la sanction semble lourde, c'est aussi parce que le nombre de condamnations à de la prison ferme pour fraude fiscale est en baisse. Selon les données publiées par le ministère de la Justice, 98 peines de prison ferme ont été prononcées en 2010 alors qu'elles étaient supérieures à 100 les années précédentes, comme le rapporte La Tribune. Mais en réalité, les fraudeurs vont rarement derrière les barreaux, le sursis étant préconisé. Selon l'article 132-19 code pénal, "une peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate".
Sans compter que dans le cas d'une condamnation inférieure à deux ans de prison, la peine peut faire l'objet d'aménagement, comme le stipule l'article 132-25 du code pénal.
"Le seul précédent, c'était l'affaire Richard Anthony", indique Denis Brugère. En 1983, le chanteur avait été emprisonné trois jours à Pontoise pour ne pas avoir payé ses impôts, le temps que ses proches réunissent la moitié de la somme qu'il devait à l'époque, soit 115.000 euros.
Condamné pour l'exemple?
Ils sont un peu plus de 46.000 contribuables à avoir déposé un dossier auprès de la cellule de régularisation fiscale, créée en 2013. Sur le plan pénal, aucune poursuite n'est prévue pour ces fraudeurs qui viennent volontairement se dénoncer afin de se mettre en conformité avec la loi.
"L'affaire Jérôme Cahuzac n'est pas la plus grosse, remarque l'avocat fiscaliste, il y a des cas avec des dizaines, voire des centaines de millions d'euros. Dans mon bureau, j'ai beaucoup de dossiers similaires, avec des cas beaucoup plus importants et plus graves que celui-ci. Ce qu'on lui reproche, c'est d'avoir menti."
Et selon Denis Brugère, le contexte politique a certainement beaucoup joué. "C'était un ministre, il a nié alors qu'il était censé être à la pointe du combat contre la fraude fiscale. Dans la même situation, un citoyen ordinaire aurait certainement procédé à une régularisation et il n'y aurait pas eu de telles poursuites pénales."
BFM TV
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