Éric Sniady a 57 ans et aspire à une vie « normale ». Lui qui a passé près de trente ans incarcéré dans diverses prisons, avec entre-temps des braquages et des évasions.
Alors que la prison de Loos est en train d’être démolie, le Nordiste, désormais rangé, se remémore ses rudes conditions d’incarcération.
– Dans votre livre « Entre quatre murs »*, votre passage à la prison de Loos semble être l’une de vos pires expériences carcérales...
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« Oui, je me souviens du mitard. C’était au rez-de-chaussée. À l’époque, il y avait des WC à la turque. La nuit, si vous vouliez aller aux toilettes, vous y alliez dans le noir. Seul le surveillant avait accès à la lumière. Le soir, s’il était sympa, il vous la laissait allumée un peu, pour lire. Mon pain était sur une assiette en plastique. À force d’avoir les yeux ouverts dans le noir, vous distinguez mieux les choses ; une nuit, j’ai vu un rat tellement énorme que croyais que c’était un chat. À l’époque, au mitard, on vous ramenait le matelas tous les soirs, seulement la mousse : dessus, il y avait du sang, du sperme... J’ai attrapé la gale. Il n’y avait pas d’hygiène. »
– Vous avez d’ailleurs protesté contre ces conditions d’incarcération.
« Oui, il y a un gars qui est venu me parler sur Facebook il y a quelques jours. Il était tombé sur mon bouquin au Furet de Calais... On avait fait notre grève de la faim ensemble, en 1983 ! On travaillait dans les cuisines et on voulait dénoncer ce qu’il s’y passait. Des rats, il y en avait partout. Pas un, pas deux, toute la famille ! Et on devait mettre des trucs pourris dans la gamelle, comme du gruyère moisi dans les pâtes. Les blocs de foie étaient de toutes les couleurs, on les faisait décongeler dans des bacs d’eau chaude. Notre grève de la faim avait duré huit jours, on avait contacté La Voix du Nord grâce à un surveillant qui était syndiqué. En prison, je me suis battu un peu pour tout. Si vous ne vous battez pas, vous n’avez rien. »
– On dit que les vieilles prisons, comme Loos, étaient plus « humaines ». Qu’en pensez-vous ?
« Oui, quelque part on était bien. Maintenant, vous allez à Sequedin, il n’y a plus le côté humain. J’y suis allé, au quartier maison centrale, en 2008. Ils ont investi une fortune colossale pour la sécurité. À Loos, dans les années 80, on avait le droit de cantiner trois bières de 33 cl par détenu, par jour. Ils ont arrêté en 1994, parce que les mecs se bourraient la gueule ! Moi, j’avais une réserve. On buvait un petit coup, parfois, avec les surveillants. Aujourd’hui, ils sont débordés. Ils disent qu’ils n’ont pas le temps de faire du social. Ils sont plus considérés comme un service d’ordre. »
– Comment expliquez-vous que vous vous êtes évadé deux fois ?
« En prison, je n’ai jamais vu de psy. Les infirmières, je les traitais de dealeuses. Je prenais sur moi, je faisais beaucoup de sport. Mais quand vous êtes en prison, vous êtes impuissant. J’avais ma fille à l’extérieur, mes petits-enfants. Et envie de liberté. Une évasion, c’est humain. Personne n’est fait pour vivre enfermé. »
Éric Sniady avec Manuel Sanson, Entre quatre murs, City éditions.
«Trente ans, c’est une vie...»
Éric Sniady a passé plus de temps enfermé que libre. Aujourd’hui, il regarde derrière lui et ça lui donne le vertige. La veille du jour où nous l’avons rencontré, « c’était les 36 ans de ma fille... C’était le top ».
Depuis sa mise en liberté conditionnelle en mai 2015, il apprend la vie de famille.
« Ma fille, je ne l’ai jamais emmenée à l’école. Elle disait : mon père il est militaire de carrière. Y avait que ses copines proches qui savaient. Pour elle, c’est trente ans de blessures. Maintenant, elle est contente. Mais elle a toujours ces blessures. Trente ans, c’est une vie... »
Père et fille avaient conservé « des liens épistolaires, des parloirs ». Mais il leur manquait l’essentiel : du temps, libres.
« L’année dernière, on a fait notre première Braderie de Lille ensemble. On a squatté au bar à mojitos toute la soirée ! À Noël, j’ai eu un moment où je ne me sentais pas bien ; je voyais tout ce que j’avais raté. C’était ma première photo avec un père Noël. »
Sans l’engrenage braquages-prison-évasions, Éric Sniady a plein de rêves au conditionnel passé.
« J’étais jeune, j’étais con. La mère de ma fille, c’était l’amour de ma vie. C’est une femme qui est bien, qui est propre. Quand je vois l’éducation qu’elle a donné à ses enfants. Je me dis : mais qu’est-ce que j’ai raté, qu’est-ce que j’ai fait ? C’est comme si je m’étais suicidé... »
C’est pour ça qu’Éric Sniady veut raconter son expérience aux jeunes, « qui préfèrent écouter les anciens que les assistantes sociales et qui se disent : p ourquoi je vais travailler pour le SMIC alors que je peux me faire 20 000 € en dealant dans une cage d’escalier... »
Pourquoi un livre? Et comment?
L’écriture, « ça me trottinait déjà en prison, indique Éric Sniady. J’écrivais beaucoup, quand j’écrivais à ma famille notamment ».
L’ex-détenu est investi à L’Office international des prisons (OIP) : « Il y a beaucoup de passage là-bas, des journalistes, des écrivains. Manuel Sanson voulait faire un bouquin sur une personne qui a passé des décennies en prison, il m’a contacté. J’ai accepté. »
Le journaliste part de Rouen, où il vit, à Paris, où habite Éric Sniady à ce moment-là, tous les matins avec le premier train. « On était dans l’appart de 8 he à 20 h tous les jours, pendant une dizaine de jours. Et on avait des échanges téléphoniques. Puis après j’ai tout relu, j’ai corrigé quelques trucs. »
La Voix du Nord
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