samedi 21 janvier 2017

48 heures entre les murs de la prison de Châteauroux

Un monde où règne la loi du plus fort et où la tension est toujours rampante. Cet univers, encadré par des surveillants qui doivent faire preuve de vigilance, de diplomatie  et de fermeté pour prévenir tout dérapage, nous a ouvert ses portes.

Centre pénitentiaire de Châteauroux (Indre). - LP / ARNAUD DUMONTIER

Ambiance orwellienne pour un matin blême. Sur la façade en béton délavé, seule une poignée de caméras semble épier le visiteur.


Un «clang» métallique vient prouver qu'il y a bien un humain derrière la vitre sans tain. La porte d'entrée du centre pénitentiaire (CP) de Châteauroux (Indre) ouvre sur un dédale de coursives. Hormis quelques espaces enherbés et un arbre à la présence incongrue, l'espace tout entier semble découpé par des kilomètres de grillages, portes et barreaux. Un univers clos régi par ses propres règles.

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Le premier, Didier Lévêque est chargé de les faire respecter. Chef de détention, il dirige les 131 surveillants de cette prison à taille encore humaine construite en 1992, où il dit n'avoir jamais « ressenti d'appréhension ». Le profil de certains des 359 hommes qui y sont incarcérés pourrait en susciter. D'autant que, par sécurité, les surveillants ne sont pas armés. « Même si beaucoup d’entre nous pratiquent les sports de combat, nous n'avons que nos bras et nos jambes », prévient le « chef ». « Notre sécurité, c'est le dialogue, nos collègues et notre alarme », complète Peggy Lemoine, responsable du bâtiment C, l'un des trois qui composent le centre de détention (CD), quand le A est occupé par la maison d'arrêt.

« On travaille sur un brasier »

Cyril a 30 ans. Visage émacié, il tire nerveusement sur une cigarette roulée. « Y'a des surveillants, si je les croise dehors, je leur serrerai la main, imagine cet habitué du CP de Châteauroux, où il passe son troisième séjour. Pour d'autres en revanche, je penserai à mon fils, histoire de pas faire une connerie... » Rares sont les personnels à n'avoir jamais connu d'agression dans leur carrière. A l'instar de Michel,* 30 ans de pénitentiaire qu'il quittera dans un an pour sa retraite. « On travaille sur un brasier, constate-t-il. En une minute, ça peut partir en vrille. »

Ainsi de ce «mouvement» de 14 heures, quand deux groupes de détenus en transit, venus d'étages différents, se sont retrouvés agglutinés dans un sas bien trop petit pour contenir cette trentaine de condamnés. Les visages sont durs, les regards noirs, les corps gonflés par la musculation. Un gaillard se jette sur le dos d'un autre, qui se baisse pour esquiver. Moment de flottement chez les surveillants.

Une porte de coursive étant restée ouverte, celle menant à l'extérieur reste automatiquement bloquée, empêchant la fin rapide de ce huis clos tendu. « C'est l'effet de sas, commente un agent. Seuls les gars du PIC (NDLR : poste d'information et de contrôle) pouvaient "forcer" la porte. Ils ne l'ont pas fait... » L'« agression » du détenu n'était qu'une blague destinée à chahuter. L'épisode n'en sera pas moins suivi l'après-midi de multiples rappels à l'ordre.

« En prison, il n'y a pas d'égalité »

Certains ont rejoint l’atelier, où l'on tente de limiter au maximum le nombre d’objets dangereux. Des paires de ciseaux format XXL y sont tout de même stockées, dans des armoires grillagées. Les lieux sont fréquentés par 80 prisonniers. Un travail à temps plein est fourni par des sociétés privées pour 4 à 5 € de salaire horaire, lesquelles exigent en retour la même qualité que dans n'importe quelle usine. L’endroit est idéal pour communiquer, comme pour régler ses comptes. « Souvent sous les caméras, précise le chef Didier Lévêque. Ils savent que ça nous permet d'intervenir, et ça donne une porte de sortie aux protagonistes, qui conservent ainsi leur fierté... »

L'honneur, justement, se conjugue à tous les temps. « Il n'y pas d'égalité en prison, note avec justesse le responsable de détention. Entre détenus, tout est affaire de rapports de force. » Philippe en sait quelque chose. Cet ancien militaire est prof de sport. Il exerce sur un terrain cerné de plusieurs rangées de grillages, entre lesquelles les ballons viennent régulièrement se perdre. Au cour des matchs de foot, les mauvais gestes sont loin d’être toujours liés au jeu. Un temps, le ping-pong fut aussi particulièrement accidentogène, jusqu'à ce que la direction installe une caméra dans la salle. De même pour les escaliers, où les chutes sont nettement moins nombreuses depuis qu'ils sont vidéo-surveillés.

Une pression psychologique constante

« En détention, c'est simple, celui qui n'est pas sûr de lui, il est mort, résume Philippe. La violence est partout. Et les détenus en sont les premières victimes. » Le racket, notamment, s'exprime sous de multiples formes. Condamné à 18 années d'une réclusion qu'il achève de purger dans l'Indre, Mike se souvient de son premier jour en prison. C’était à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne), plus grand établissement d’Europe. « On m'a demandé une clope, je l'ai donnée. Une deuxième, puis j'ai refusé. La cour, à Fleury, c'est 400 prisonniers et des surveillants qui n'y mettent pas les pieds. J'ai séché mon adversaire, et j'ai plus été inquiété. »

A Châteauroux comme ailleurs, tabac et café sont des valeurs sûres, réclamées à longueur de journée. Mais la monnaie la plus cotée reste le cannabis. On peut accueillir le nouvel arrivant avec un joint de bienvenue. Et le lendemain lui réclamer 50 €, avec menaces à la clé. « D'autant qu'ici, tout se sait, prévient un surveillant. Balancer est risqué... » La pression psychologique est constante, et s'exprime jusqu'à l'extérieur. « Les familles peuvent être harcelées si elles n'amènent pas ce qu'il faut, raconte une infirmière. Ça va du shit aux bouteilles d'alcool. Du coup, certains refusent les parloirs. Comme ça, ils ne présentent plus d'intérêt pour les racketteurs. »

Shit et puces dans les stabilos

Initialement, une fourchette accrochée au bout d’une ficelle constituait un grappin idéal pour récupérer les marchandises illégales lancées depuis l’extérieur des enceintes, érigées le long d’une voie rapide. Depuis que des grillages ont été rivés aux fenêtres des cellules, les parloirs demeurent le principal lieu de transit. 30 000 téléphones et 1 400 armes ont ainsi été saisis en France l'an dernier par l'administration pénitentiaire. Problème : les portiques de détection, comme la palpation, ne suffisent pas à tarir ce flot continu. Quant aux fouilles intégrales systématiques, elles sont interdites depuis 2009 par la réglementation européenne.

Pour dénicher les produits ou objets illicites, le renseignement est donc primordial. « On laisse traîner les oreilles. On s'informe, on recoupe, on trie, on identifie qui fait rentrer quoi... », décrit Peggy Lemoine. Avant de passer aux fouilles ciblées. Un lit, une chaise, une table, un WC : en apparence, dissimuler quoique ce soit dans ces 9 m2 semble impossible. « Mais leur ingéniosité est sans limite, sourit la chef du « C ». S'ils en faisaient autant preuve à l'extérieur, beaucoup seraient de géniaux inventeurs... »

Dans cette cellule, le détenu avait ainsi dissimulé un mobile dans le pied de son ventilateur, et possédait une montre-téléphone. L'un de ses voisins, lui, avait conçu un double-fond dans une bouteille de sirop en métal, quand un autre cachait notamment son « shit » dans un stabilo. A Châteauroux plus qu'ailleurs, cela peut coûter cher. Car respecter la discipline peut déboucher sur de véritables avantages, par exemple un régime de détention semi-ouvert dans les premier et second étages, avec clé de sa cellule à disposition et accès aux coursives et aux salles communes (lire par ailleurs). Enfreindre le règlement vous en prive aussi sec.

Un régime de détention adapté à chaque profil

Ici, il y a plusieurs prisons dans la prison. « De l’extérieur ça paraît rien, relève un gardien. Mais se faire un plat de pâtes sur la plaque commune ou pouvoir jouer aux cartes, ça change tout au quotidien. » Possesseur d’un portable qu’il avait négligemment laissé trainer, ce détenu est bien placé pour le savoir. Il a été rétrogradé au rez-de-chaussée. La « doublette » qu'il occupe seul est cette fois en régime fermé. Au sol, le matelas fait office de canapé, sous le regard d’une affiche « rasta ». L’endroit est d’une propreté immaculée, contrairement à la cellule voisine, sans dessus dessous. « En matière de rangement, vous voyez tout de suite à qui vous avez à faire... », ironise un surveillant.

La connaissance fine des occupants est devenue un outil essentiel de gestion de la détention. « Celui-ci, montre un chef de bâtiment, c'est un gars qui prenait ses aises, avec tous ses potes à sa botte. On l'a déplacé. A lui-seul, il peut vous pourrir un étage. » « On doit identifier les agneaux et les loups, et ne pas les mettre ensemble », analyse un autre. Les «vulnérables», qui ne souhaitent pas côtoyer leurs codétenus, sont regroupés dans une aile distincte. Les « AGVD », auteurs de grandes violences en détention, le sont également au rez-de-chaussée. L'ensemble des données les concernant a été passé au crible par les différents acteurs du CP. Au final, un score leur a été attribué, qui permet d'évaluer leur dangerosité. « On ne peut plus se contenter d'une gestion binaire », argumente Estelle Perz, la chef d'établissement.

« Notre travail, c'est de la police, de la psychiatrie, et beaucoup de psychologie, abonde Didier Lévêque. Avant, les choses se réglaient à coups de matraque. Aujourd'hui, on considère et on écoute. Le mot confiance n'est plus tabou. » Quelques heures dans les coursives permettent de constater que sans cesse, les hommes en bleu sont sollicités. «Faut que je voie le 1er surveillant ? », demande un détenu. « Y'a un problème ?, rétorque "Doudou", en poste à la maison d'arrêt. Non ? Parce qu'à ta voix, on dirait... Fais un mot et je transmettrai. »

«Des signes qui ne trompent pas...»

La prison de Châteauroux, même si elle en est proche géographiquement, est aux antipodes d'une maison centrale comme celle de Saint-Maur, où sont regroupées les très longues peines, que Doudou a cotoyées deux ans. « Là bas, tu rentres dans les cellules plus discrètement que dans la chambre de ton fils. Si tu cognes par inadvertance le trousseau à la porte, ta journée est foutue... » Mais même au centre de détention, Doudou sait que les problèmes, « il faut les régler rapidement », au risque « que ça prenne tout de suite de l'ampleur », ou « que le gars veuille se venger. »

« Tu dois savoir que untel gueule tous les matins, et que c'est normal, et en revanche te méfier lorsque tel autre ne semble pas dans son assiette », renchérit Didier Lévêque. Doudou le sait : « Il y a des signes qui ne trompent pas. Celui qui baisse la tête quand il te parle, c'est qu'il subit quelque chose, par exemple un racket, ou que ça ne va pas. »

Ce détenu du CD est en pleurs. Il vient d'apprendre que son fils doit se faire opérer le jour même en urgence. Jean-Yves, adjoint au chef de bâtiment, le rassure. Alors que le jeune homme appelle ses proches sur le téléphone fixe de la prison, le surveillant l'interroge du regard, obtient un pouce levé en réponse : l'intervention s'est bien déroulée. « L'aspect humain est important, insiste Jean-Yves. Je sais que si un jour je lui dis stop, il m'écoutera. »

« De l'extérieur, on imagine qu'on met ces gens entre quatre murs, et que le problème est réglé, résume un travailleur pénitentiaire. Mais ce ne sont pas des objets. Les traiter avec humanité, c'est aussi éviter d'en faire des fauves. »

18 postes manquants

Les dysfonctionnements ou les lenteurs administratives cristallisent les tensions. « Entre les juges et les détenus, il y a beaucoup d'incompréhension, évoque un surveillant. Ce sont deux mondes qui se télescopent, et nous sommes là pour amortir le choc. » Parfois exagérées, les défaillances du système sont aussi bien réelles. « Certains qui veulent partir vers d’autres établissements ont leur transfert validé, mais rien ne bouge », se plaint un détenu. « Un vrai problème », concède Pascal Sabourault, délégué FO.

Matosh, un Roumain, travaille aux ateliers, mais est dans l'incapacité d'envoyer son pécule en Roumanie, faute de pouvoir fournir l'un des documents exigés. Thierry, lui, déplore que les unités de vie familiale (UVF) - des pièces où certains détenus peuvent passer quelques heures voire un week-end avec leurs proches -, ne fonctionnent pas. Flambant neuves, elles existent pourtant depuis un an. Mais le déficit de 18 postes de surveillants ne permet pas de les ouvrir, « alors même qu'on nous dit que le maintien des liens familiaux est essentiel pour éviter la récidive », fulmine un prisonnier.

La récrimination numéro 1 concerne l'impossibilité de « cantiner » des plaques chauffantes pour améliorer l’ordinaire, à l'image de ce qui se fait dans la plupart des prisons françaises. La pétition des détenus proposant de financer eux-mêmes l'achat de nouveaux plombs n'y a rien fait : l'établissement ne possède pas une installation électrique permettant de supporter leur puissance…

« Comme une voiture... »

« C'est le bagne ici !, caricature un occupant de longue date. Y'a rien à faire, que le sport et les ateliers. » « Cette prison, elle est à l'image de sa région », moque Tonio, un autre pensionnaire...

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