lundi 8 août 2016

Chaleur, absence des familles… l'été, une période "plus tendue" en prison

Entre fortes chaleurs et baisse des activités, la période estivale derrière les barreaux est plus propice à la solitude et à l'agitation chez les détenus. 

Chaleur, absence des familles… l'été, une période "plus tendue" en prison

"Imaginez, vous passez 22 heures par jour, à trois dans une cellule de 9m2 prévue pour deux personnes, avec une température de 40°C… Psychologiquement, c'est dur, donc forcément les tensions sont exacerbées", résume Patrick Urli, responsable FO Pénitentiaire à Nîmes.



Alors que le thermomètre grimpe dans le sud de la France, et que des records de température ont été battus en juillet dans l'Ouest, Europe 1 a voulu savoir comment se déroule l'été en détention.

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Murs insalubres, humidité, chaleur étouffante… "Ça va clairement dépendre de l'ancienneté des établissements", précise Léa, étudiante en droit et membre du Genepi Ille-et-Vilaine. "L'étuve", c'est ainsi, par exemple, que l'on surnomme le centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan - construit il y a près de cinquante ans - en raison "du matériau de sa façade, qui donne l'impression de cuire au personnel pénitentiaire et aux détenus", rapporte Delphine Payen-Fourment, coordinatrice de l'Observatoire international des prisons (OIP) dans le Sud-Ouest.

Alors derrière les barreaux, tous les moyens du bord sont bons pour faire baisser la température : créer des courants d'air, occulter les fenêtres des cellules que l'on ne peut, la plupart du temps, ouvrir… Parfois, "on humidifiait les sols du rez-de-chaussée, où étaient principalement les personnes âgées et handicapées, pour rafraîchir", se rappelle Roch-Etienne Noto, infirmier à Fresnes six années durant.

Ex-détenu, Franck S. se souvient : "Comme d'hab', l'été c'est le système 'D'. Avoir un ventilateur, c'est très recherché." Pour s'en procurer un, les personnes incarcérées doivent le "cantiner" (acheter un produit en remplissant un bon ; ndlr) pour une quinzaine d'euros auprès de l'administration pénitentiaire. "Encore faut-il que le système électrique puisse supporter la charge", lance Delphine Payen-Fourment, soulignant que "dans certains établissements, trop vétustes, les plaques électriques sautent".

L'été, c'est le système 'D'

Et s'il fait très chaud à l'intérieur des cellules, la promenade quotidienne n'offre pas non plus le rafraîchissement espéré. Les sorties se font dans une cour "de béton, spartiate, tout ce qu'il y a de plus dénudé, avec un tout petit préau pour seule zone d'ombre", décrit Christophe Cavard, député écologiste du Gard, qui s'est rendu à cinq reprises à la maison d'arrêt de Nîmes en l'espace de trois ans. Alors que la population carcérale vient encore de battre un triste record, avec 69.375 personnes détenues au 1er juillet en France et 1.648 matelas au sol, l'établissement est connu pour être l'un des plus vétustes et surpeuplés de l'Hexagone.

Accrochages, agressions entre codétenus à fleur de peau ou entre détenus et surveillants : les conséquences de cette vie à l'étroit, dans des cellules surencombrées, sont connues. "Quand vous ouvrez la porte de la cellule le matin, que vous avez un matelas au sol, vous êtes le premier à faire face à la nervosité", explique Johann Reig, secrétaire local de l'Ufap-Unsa et surveillant à la prison de Perpignan. Avec un taux de surpopulation de 219,85%, la maison d'arrêt accueille 299 hommes pour une capacité de 136 places - soit 59 matelas à terre. "On est totalement hors la loi", pointe le syndicaliste, qui déplore des conditions de travail dégradées.

Et la chaleur estivale n'arrange rien à cette promiscuité. "Les détenus veulent être moins nombreux dans les cellules. Après la promenade, l'autre jour, certains ont refusé de réintégrer la leur", assure Ahmed El Hoummass, surveillant à la prison de Fresnes et secrétaire régional Ile-de-France à la CGT-Pénitentiaire. "Ils dorment mal, vivent les uns sur les autres… Ça joue beaucoup sur le mental", abonde Louines Chabouni, secrétaire régional adjoint au syndicat Ufap-Unsa, qui décrit des détenus un peu plus "turbulents et excités".

Les détenus dorment mal, vivent les uns sur les autres… Ça joue beaucoup sur le mental
Un peu plus irritables, certes, mais aussi plus exposés aux carences d'hygiène. Les toilettes sont à l'intérieur des cellules – "une catastrophe", dixit un surveillant pénitentiaire – et, dans la plupart des centres pénitentiaires, les douches sont à l'extérieur des cellules… et n'ont lieu que trois fois par semaine. Ancien infirmier à Fresnes, Roch-Etienne Noto se souvient : "Il y avait plus de consultations autour de problèmes respiratoires et dermatologiques, liés à la transpiration". Néanmoins, ajoute-t-il, en cas de forte chaleur, le nombre de douches peut être augmenté sur avis médical et les détenus âgés ou malades font l'objet d'une vigilance accrue.

La période estivale s'avère également compliquée car elle accroît la solitude de la détention. "Il y a de l'amertume, parce que c'est l'été, il y a du soleil, et ils sont enfermés… Leurs familles sont en vacances, ils ont moins de visites", avance Ahmed El Hoummass. Les professeurs sont en vacances, les formations professionnelles sont arrêtées, les ateliers de travail sont fermés dans la plupart des prisons… "Les détenus sont un peu moins occupés, donc en effet, c'est un petit peu plus tendu", affirme le syndicaliste FO Pénitentiaire Patrick Urli.

"Tout ce qui est une bouffée d'air d'habitude disparaît", résume Delphine Payen-Fourment de l'OIP. "C'est une période comme Noël, qui renvoie à des souvenirs, des moments familiaux alors que les proches sont absents, en vacances. Elle est donc propice à plus de détresse psychologique, ils se sentent vraiment seuls", développe-t-elle. De façon générale, "pendant l'été, on reçoit beaucoup plus de témoignages sur les conditions de détention, qui sont encore plus difficiles que d'habitude", poursuit la coordinatrice de l'Observatoire international des prison.

Alors dans certains établissements, comme à Saint-Martin-de-Ré, des dispositifs sont mis en place pour tenter de soulager l'isolement des détenus. "Durant la première quinzaine d'août, les parloirs vont être ouverts tous les jours pour qu'ils puissent voir plus leurs familles, alors que, d'habitude, c'est ouvert seulement le week-end", indique Emmanuel Giraud, surveillant depuis cinq ans dans cette maison centrale, la plus grande de France avec ses 460 places.

Tout ce qui est une bouffée d'air d'habitude disparaît

Le délégué régional FO Pénitentiaire en Aquitaine estime que le personnel pénitentiaire essaie de s'adapter à cette période plus délicate : "On est sensibilisés, on fait attention, on entend bien qu'il fait chaud", glisse-t-il. Une compréhension qui peut, selon lui, passer par une plus grande tolérance : "on va être moins regardants quant au fait qu'ils descendent en promenade en short-bermuda, alors que la tenue réglementaire impose le port d'un tee-shirt et d'un pantalon". Pour tenter d'animer l'été à l'ombre, professeurs de sport et administration pénitentiaire organisent parfois aussi des tournois "de foot, de ping-pong, de badminton, de pétanque, voire des mini-jeux Olympiques", rapporte Louines Chabouni, ex-professeur de sport à Osny, Poissy, et Bois d'Arcy.

Enfin, certaines associations, comme le Genepi, se mobilisent. L'an dernier, Clémentine Le Berre, déléguée régionale Grand Ouest de Genepi, a lancé une opération "Vacances à l'ombre", début août, à la maison d'arrêt de Saint-Malo, comme l'association a l'habitude d'en mener lors des vacances scolaires. "Nous avons proposé deux choses : des jeux de société et des arts plastiques, avec la présence d'une artiste", détaille la jeune fille. Au départ, les détenus n'étaient que sept. Puis au fur et à mesure, se remémore-t-elle, "ils sont venus à beaucoup : on tournait à 20 personnes par atelier".

Les mesures contre la canicule en détention

Depuis 2003, l'administration pénitentiaire envoie une note en cas de fortes chaleurs et du déclenchement du plan canicule, "qui prévoit une série de mesures à la discrétion des directions des différents établissements pénitentiaires", explique Delphine Payen-Fourment de l'OIP. Parmi ces consignes : la distribution de bouteilles d'eau, un nombre de douches plus élevé ou encore le port autorisé de shorts ou de casquettes.

Europe 1

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