dimanche 8 janvier 2017

«Au Brésil, les prisons surpeuplées sont une aubaine pour le crime organisé»

Après deux tueries en quelques jours, César Muñoz, de l'ONG Human Rights Watch, analyse l'état de non-droit du système carcéral.

Vendredi près du pénitencier de Roraima (nord du Brésil), où 33 détenus ont été tués, des proches se rassemblent pour obtenir des informations.

Deux bains de sang à quelques jours d’intervalle (59 morts à Manaus lundi, et 33 à Roraima vendredi) sont venus rappeler l’état catastrophique des prisons au Brésil, où personne n’est capable d’empêcher les membres des gangs de s’entre-tuer.


Dénoncée de longue date par les défenseurs des droits humains, la situation ne fait pourtant qu’empirer. L’ONG Human Rights Watch (HRW) lançait le 4 janvier un cri d’alarme: «L’Etat doit reprendre le contrôle de son système carcéral, passé aux mains des groupes criminels, et garantir la sécurité de tous les prisonniers.» Basé à São Paulo, l’expert César Muñoz est chargé du dossier prisons au sein de HRW.

Liens commerciaux :



Comment travaillez-vous ?

L’intérêt de HRW pour la condition des prisonniers est ancien, et ces deux dernières années, nous avons publié deux rapports sur le sujet. Je visite régulièrement des prisons. En octobre, j’ai pu entrer dans une maison d’arrêt pour femmes. J’ai été admis dans la zone réservée aux détenues enceintes et aux jeunes mamans, mais la direction m’a refusé l’accès aux autres espaces. «Nous ne pouvons pas y assurer votre sécurité», m’a-t-on dit. Ce qui prouve que les autorités ont en grande partie renoncé à contrôler l’intérieur des prisons. Les clés des pavillons étaient d’ailleurs aux mains des certaines détenues, pas des gardiens.

N’est-ce pas une expérience d’autogestion pour faire baisser les tensions entre détenus et personnel pénitentiaire ?

Je comprends cette vision, mais je la juge utopiste. Dans les faits, nous constatons que les détenus qui reçoivent les clés sont aussi ceux qui contrôlent le trafic de drogue en interne. C’est une démission de la direction, qui a pour conséquence de livrer l’ensemble des reclus au bon vouloir des groupes criminels.

Jadis, les mutineries étaient matées dans le sang par la police militaire, comme à Carandiru en 1992. Aujourd’hui, la violence provient surtout de règlements de comptes entre factions. Comment en est-on arrivé là ?

A la suite de Carandiru et d’autres tueries, les détenus ont ressenti le besoin de se regrouper pour se défendre des abus des gardiens et des forces de l’ordre, et ont fondé des groupes d’autoprotection. Dans une maison d’arrêt que j’ai visité récemment, dans l’Etat du Maranhão, les détenus avaient créé un gang pour résister à un groupe qui imposait sa loi. A São Luis, la capitale, les quartiers pauvres sont désormais acquis à l’une ou l’autre des factions. Leur affrontement a quitté la prison et se poursuit dans les rues.

Le délabrement du système pénitentiaire renforce donc le crime organisé ?


C’est exact. Et la surpopulation transforme les prisons brésiliennes en centres de recrutement pour les mafias. Une personne arrêtée pour un délit mineur, un vol sans arme par exemple, risque de partager sa cellule, en attendant son procès, avec un condamné pour homicide, ou un gros trafiquant. Pour survivre dans cet univers où les fonctionnaires sont absents, elle va devoir faire allégeance à un des gangs qui règnent sur la prison. Une fois libérée, dans bien des cas, elle restera en contact avec le gang.

Au pouvoir entre 2003 et 2016 avec Lula puis Dilma Rousseff, la gauche a-t-elle montré une approche différente du dossier des prisons ?

Absolument pas. La gauche comme la droite ont appliqué la même politique, qui consiste à fermer les yeux sur des situations inhumaines. Fin 2014, il y avait 622 000 prisonniers dans le pays. Ce sont les derniers chiffres disponibles. La surpopulation atteint 167% en moyenne, et dans certains centres elle est très supérieure. Il est courant que trois personnes partagent une cellule individuelle, trop exigue pour qu’elles puissent s’allonger. Pour dormir, elles doivent se relayer.

Pourquoi cet entassement ?


Le premier responsable est le système judiciaire, très inefficace. J’ai travaillé sur le dossier d’une prisonnière qui attend son procès depuis six ans. Son cas n’est pas isolé. Il y a aussi des reclus qui ont purgé leur peine, mais qui restent enfermés, parce que des papiers se sont perdus, qu’ils sont pauvres et dépourvus d’avocats pour défendre leurs droits. Un homme a ainsi passé en détention dix ans de plus que sa condamnation.

Quelle serait la solution ?

Une réforme du système judiciaire, l’application de peines de substitution à l’enfermement, de la liberté surveillée aux travaux d’intérêt général. Et une évolution de la législation sur les stupéfiants. La plupart des détentions concernent la possession de petites quantités de drogue. J’ai récemment rencontré en prison un adolescent de 19 ans arrêté pour 15 g de marihuana, dont la valeur marchande ne dépasse pas 20 euros. Il a pris 4 ans et 2 mois ferme. S’il avait vécu dans un quartier chic, s’il avait été blanc, jamais il n’aurait connu la prison. Dans les cas des femmes, 60% sont condamnées pour de petits trafics. Les jeter en prison, alors que dans les quartiers déshérités, elles sont l’unique pilier de la famille, a un coût social ravageur.

La société brésilienne est-elle mobilisée sur ces sujets ?

Elle l’est plus ou moins grâce aux actions des ONG, les nôtres notamment...

Lire la suite sur Libération

couv-ebook

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...