jeudi 23 mars 2017

Fleury-Mérogis : radiographie de la plus grande prison d'Europe

« Le Parisien » - « Aujourd'hui en France » s'est procuré en exclusivité un document statistique qui lève le voile sur la plus grande prison d'Europe.


Les chiffres en disent parfois plus qu'un long discours. C'est ce que révèle cette imposante radiographie statistique de Fleury-Mérogis (Essonne). Un document confidentiel, interne à l'administration pénitentiaire, que nous avons pu nous procurer, et qui dresse un portrait en creux de la plus grande prison d'Europe.


Publié récemment, ce rapport se réfère à l'année 2015. Sécurité, difficultés sociales, présentéisme des agents ou défaillance des caméras : aucune des données de ce «monstre» pénitentiaire qu'est devenu Fleury n'y est dissimulée.

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A commencer par celles concernant sa surpopulation. Bon an, mal an, la maison d'arrêt héberge ainsi 4 500 détenus pour 3 000 places. En 2015, ses murs ont vu transiter 15 994 détenus, soit 8 105 entrants pour 7 889 sortants. Du côté de l'administration pénitentiaire, si l'on confirme l'existence d'un tel document, on prévient qu'il ne faut tirer de cet établissement, par définition hors normes, des généralités s'appliquant à l'ensemble du système carcéral hexagonal.

«A Fleury, l'immensité des lieux — implantés sur 180 ha — fait que les problèmes sont multipliés par dix», complète David Derrouet, le maire (DVG) de la ville. D'autant que pour l'élu, «derrière les chiffres, la réalité est encore pire. Certains bâtiments étant en travaux, la surpopulation est supérieure encore à ce que disent les statistiques».

Une surpopulation carcérale en constante hausse

A l'inverse, même si trop de postes de surveillants manquent encore, les jeunes sortis d'école rechignent toutefois moins qu'avant à y venir, notamment grâce à la présence de douches en cellule, lesquelles évitent des mouvements de prisonniers et l'insécurité qui y est liée.

4 239 détenus ont été accueillis en moyenne durant l'année 2015. Avec un pic à 4 349 en décembre, et des minima observés en janvier (4 160) et février (4 150). C'est en moyenne 8 % de détenus de plus qu'en 2014 (3 929). Le taux d'occupation à Fleury est de 148,8 % en moyenne, ce qui implique plusieurs personnes par cellules avec des lits à terre. La situation est plus critique dans le quartier des hommes (171 %) que dans celui des femmes qui compte 246 détenues en moyenne. La surpopulation carcérale est en constante augmentation puisque le taux d'occupation chez les hommes était de 150 % en 2013 et 156 % en 2014.

Trois agents du renseignement surveillent la mouvance terroriste

S'il est un chiffre en constante hausse, c'est bien celui du nombre de détenus considérés comme liés à la mouvance terroriste. Fin 2016, 85 personnes étaient écrouées pour des faits de terrorisme islamiste à Fleury. Durant l'année 2015, leur nombre est passé de 37 en janvier, à 53 en juillet, pour atteindre 76 en décembre. Un bureau du renseignement pénitentiaire, composé de trois agents et dédié à plein-temps à cette activité, s'occupe de l'observation de ces cas particuliers et recueille des informations avant de les transmettre aux autorités.

Chez les femmes, en janvier 2015, 4 d'entre elles étaient écrouées pour «terrorisme» ou «lien avec le terrorisme islamiste». En décembre de la même année, elles étaient 8, passant à 23 début janvier, plusieurs d'entre elles étant de retour de Syrie. C'est donc le plus gros contingent en France, lié notamment à la proximité avec le parquet antiterroriste, basé à Paris. Si les hommes radicalisés font l'objet de programmes de prise en charge, il a été constaté que «les femmes ne bénéficient pas de la même qualité de service, pointe le rapport. Le personnel se retrouve souvent démuni dans la gestion de ces détenues». A l'époque, la direction interrégionale de l'administration pénitentiaire prévoyait de progresser sur cette question en 2016 et 2017.

Les hommes représentent la très grande majorité des détenus de Fleury-Mérogis : 3 993, dont 75 mineurs en 2015. Ils sont relativement jeunes : 36 % ont moins de 25 ans, et 20 % entre 25 et 30 ans. Contrairement aux femmes, les étrangers sont minoritaires ici : 37 %. Ces derniers viennent surtout du Maghreb (36 %), et du reste de l'Afrique pour 27 %. Les détenus masculins sont surtout incarcérés pour des faits de violences (24,3 %), puis les stupéfiants (21,5 %) et le vol sans violence (17,9 %).

Plus de la moitié des femmes sont étrangères

Sur les 4 239 détenus en 2015, 246 étaient des femmes, 74 des mineurs. En moyenne, les femmes incarcérées sont plus âgées que les hommes (la moitié d'entre elles a entre 30 et 50 ans). Elles sont très souvent étrangères aussi, à 63 %, et originaires des pays de l'Est, à 44 % (19 % d'Afrique subsaharienne). Enfin, les femmes sont très rarement incarcérées pour des faits de violences. La première cause de condamnation est le vol (28 %), suivi par les stupéfiants (21,9 %) et l'escroquerie (18,8 %).

Côté surveillants, si les femmes sont minoritaires (un tiers du personnel), elles sont majoritaires dans les postes de direction (15 chefs de service, 60 % des postes), dont celui de directeur de l'établissement occupé par Nadine Picquet.

La désocialisation des détenus est telle que nombre d'entre eux n'ont pas d'immatriculation à la Sécurité sociale lors de leur incarcération. En 2015, 7 630 personnes ont obtenu leur affiliation au régime général une fois derrière les barreaux. Pour 33 %, cette immatriculation n'est que provisoire. 450 demandes n'ont pu aboutir en raison d'une inadéquation entre l'état civil enregistré à Fleury et les fichiers de la CPAM.

Sida et toxicomanie

Au sein de la prison, 26 775 actes médicaux et consultations (dont 4 291 soins d'urgence) se sont déroulés durant l'année. En 2015, l'accent a été mis sur le dépistage de la tuberculose. 7 194 patients ont été examinés et 13 cas avérés ont été traités. Le service d'addictologie a également été très actif.

2 784 patients ont été vus, dont certains à de nombreuses reprises. Car 43,4 % des arrivants à Fleury se déclarent dépendants à l'alcool, 44,6% fument du tabac, 27 % consomment du cannabis et 18,6 % sont consommateurs de cocaïne ou de crack (602 patients suivis). Parmi ces toxicomanes, 140 sont traités par buprénorphine (pour un coût de 45 009 €) et 177 à la méthadone (coût de 20 602 €). Des chiffres stables par rapport à 2013 et 2014.

Le service de la pharmacie est aussi essentiel à Fleury. Le traitement du VIH concerne 93 détenus en 2015. 10 patients ont aussi été traités pour une hépatite B, 14 pour une hépatite C, engendrant des frais de 845 834 €, car les « antiviraux, dont l'efficacité est proche de 90 %, ont un coût élevé », détaille le rapport.

62 profs derrière les barreaux

C'est censé être une vocation de la prison : la réinsertion. Soixante-deux professeurs interviennent derrière les barreaux. Ils accueillent 900 élèves chaque semaine dans les centres scolaires de Fleury. Le niveau y est «bas», pointe le rapport. L'essentiel des cours consiste à apprendre le français. Durant l'année scolaire 2014-2015, 491 diplômes ont été remis en détention, dont 437 concernent l'enseignement du français.

Des formations professionnelles qualifiantes sont offertes à 196 détenus, occasionnant des déceptions puisque 1 622 demandes ont été formulées en 2015. Mais les recalés pourront se rabattre vers le travail pénitentiaire (conditionnement et pliage en majorité). 1 329 postes de travail sont prévus pour les détenus sur 10 335 m² d'ateliers. Les journées de travail commencent à 7h30 et se terminent à 13h30, du lundi au vendredi, pour un salaire mensuel moyen passé de 163,82 € en 2014 à 178,17 € en 2015.

En moyenne, 462 détenus sont considérés chaque mois «sans ressources suffisantes» et se sont vu attribuer 5 544 aides financières sur l'année. Pour ce qui est d'un soutien spirituel, sont présents sur place 27 aumôniers catholiques, 6 musulmans, 6 protestants, 4 israélites, 3 orthodoxes, 2 bouddhistes et 2 Témoins de Jéhovah.

Caméras à l'arrêt

Rien n'y fait, la vidéosurveillance enregistre régulièrement de gros ratés. C'était déjà le cas en 2013 et 2014, où plus d'un quart des caméras de Fleury avaient été hors service au moins une fois dans l'année. En 2015, les dysfonctionnements se sont poursuivis. Mettant en danger le personnel ou la sécurité des locaux.

Le poste de contrôle a recensé les avaries mois par mois. Parmi les principales, celle du moniteur de surveillance des promenades, en panne du 1 er janvier au 19 février. Les caméras de la périmétrie, le long des murs d'enceinte, n'ont pas fonctionné en janvier et en octobre. Celles des ailes du milieu du bâtiment D 3 ont également été hors service en janvier. Au D 2, pendant deux mois, aucune image ne provenait du rond-point, secteur central et crucial qui voit passer les détenus de toutes les ailes de la prison.

Fin avril, un point est fait : 68 caméras, sur les bâtiments D1, D2 et D3, sont hors service. La situation s'aggrave le mois suivant. Le 10 mai, 21 caméras seulement fonctionnent sur les 65 que compte le bâtiment D 3. Au D 1, même constat ou presque : sur 95 caméras, 42 sont en service.

En avril, ce sont les alarmes qui ne sonnent plus dans l'ensemble de la maison d'arrêt. Les demandes d'intervention se succèdent jusqu'en décembre, où le problème subsiste à cause « du flux des données trop important », selon le rapport.

Par ailleurs, 41 évasions ont été dénombrées chez les hommes et 3 chez les femmes, des détenus qui ne sont pas revenus de permission de sortie.

Une violence très présente

L es procédures disciplinaires ont augmenté en 2015 (3 233) par rapport à 2014 (3 050). En revanche, le nombre de violences graves envers le personnel a baissé : 276 agressions physiques sur les surveillants en 2015 (324 en 2014). Moins de possession de stupéfiants également : 392 procédures en 2015 (472 en 2014). Cependant, les agressions entre détenus ont considérablement augmenté, passant de 383 en 2014 à 546 en 2015. Ces bagarres restent stables chez les femmes, mais explosent chez les hommes, passant de 276 à 409, ainsi que chez les mineurs (22 en 2014, 68 en 2015).

Le nombre de téléphones et de cartes SIM découverts par les surveillants est chaque année plus important...

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